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nous montre tout à côté quels incidents, minces souvent, évitables par une très petite bonne volonté, qui existait du reste et qui n’était pas petite, ont précipité les événements, qu’on peut nous dire que ces événements étaient absolument nécessaires et qu’il fallait absolument se battre. C’était probable ; tant s’en faut que ce fût certain, avant d’avoir été. Eh ! qui ne s’est dit, avec un certain bon sens, il me semble, qu’un peu moins de famine en 1789, la Révolution se fût faite pacifiquement, incomplètement peut-être, quitte à se compléter plus tard, mais foncièrement et sans autres désordres que ce qu’on appelle des troubles. Or, la famine est un évènement contingent. Il y a certainement de l’hypothétique à raisonner comme moi, mais trop de certitude facile à raisonner comme Thiers.

Cela est si vrai que ce fatalisme, il s’en écarte sans y songer, quand il parle en homme d’Etat, c’est-à-dire quand, en présence des événements et des situations historiques, il se demande : « Qu’est-ce que, là, j’aurais fait ? » Alors le fatalisme s’éloigne devant ce qui l’écarte toujours, le sentiment de la liberté personnelle. On admet assez facilement que les autres soient dominés par des fatalités inéluctables, mais non pas soi-même. Thiers, examinant la composition de l’Assemblée constituante et la répartition des forces, ne peut pas s’empêcher de se dire : Comme c’était facile ! Si j’avais été là ! « Bouillé… La Fayette… Mirabeau… Il fallait unir ces trois hommes en détruisant leurs motifs particuliers d’éloignement. Mais il n’y avait qu’un moyen d’union, la monarchie libre. Il fallait donc s’y résigner franchement et y tendre de toutes ses forces. Mais la Cour accueillait froidement La Fayette, payait Mirabeau qui la gourmandait par intervalles, entretenait l’humeur de Bouillé contre la Révolution, regardait l’Autriche avec espérance… Ainsi fait la faiblesse ; elle cherche à se donner des espérances plutôt qu’à s’assurer des succès… » Il suffisait donc qu’il y eût alors un Roi intelligent et ferme, ce qui se rencontre, pour que les choses tournassent autrement. Que devient la théorie de la guerre précédant nécessairement la paix et de la transaction ne pouvant venir qu’après l’épuisement ? Voilà Thiers qui raisonne comme un diplomate et non plus comme un fataliste. C’est qu’un instant il s’est vu lui-même, en 1790, à la tête des affaires de la France.

Et le grand mérite de cette Histoire, c’est qu’elle n’est écrite