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vrées pour la même cause et de noble émulation dans l’héroïsme. Il faudrait désespérer de l’humanité si les idées de justice et de liberté n’avaient de prise sur elle qu’aux heures des grandes secousses et des rencontres sanglantes, et si elles perdaient tout crédit dans le train ordinaire de la vie publique. À l’appel du droit, l’Angleterre, l’Italie et la France se sont levées pour combattre ; elles ont voulu créer ensemble une Europe meilleure ; elles ont eu toutes trois, et leurs alliés avec elles, la généreuse ambition d’établir dans le monde une paix durable ; vont-elles se séparer au moment où leur œuvre est à peine esquissée et réclame plus que jamais l’unité et la persévérance de leurs efforts ? Une politique à si courte vue nous conduirait tous au bord de l’abîme ; les hommes d’État de nos trois pays ne peuvent fermer les yeux à l’évidence ; ils savent que nous continuerons, dans le futur comme dans le passé, à avoir besoin les uns des autres ; qu’il y a entre nous une solidarité d’intérêts plus forte que les désaccords d’un matin, les fantaisies individuelles et les piques d’amour-propre ; et que chacun de nous commettrait, à son propre foyer national, un crime de lèse-patrie s’il perdait jamais de vue les raisons supérieures qui nous commandent de rester unis.

Puisque nous sommes tous également pénétrés de cette conviction, tâchons, avant tout, de nous mieux comprendre, de ne pas juger nos alliés d’après nous-mêmes, d’avoir l’imagination assez libre et assez objective pour savoir nous placer, un instant, à leur point de vue, et de commencer par nous rendre compte de leur état d’esprit chaque fois que nous avons à discuter avec eux. La plupart des malentendus qui se sont produits, depuis quelques mois, entre nous, proviennent de ce que nous nous sommes mépris sur les mobiles auxquels obéissaient nos interlocuteurs. Ajoutez à cela un trop grand nombre de petites rivalités personnelles qui n’ont pas été sans envenimer les dissentiments. On a opposé tel premier ministre à tel autre ; on a parlé de la victoire de ceux-ci et de la défaite de ceux-là ; on a successivement exalté ou dénigré les chefs des gouvernements ; et dans chaque pays allié, la presse s’est crue autorisée parfois à juger les représentants de l’État voisin avec la même liberté de langage que s’ils étaient des compatriotes. Quelques déceptions que nous laissent nos derniers entretiens avec Londres, pensez-vous qu’il soit convenable et habile de nous complaire à malmener M. Lloyd George ? Ce n’est point à nous de nous associer à ses adversaires d’Outre-Manche ni d’accroître, ne fût-ce que par des paroles imprudentes, les difficultés croissantes qu’il rencontre un peu partout, aux Indes, en Asie-Mineure, en