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la résignation de la suivante, qui se change, au cours de la dernière, en révolte et en colère. » Depuis longtemps, une sourde inquiétude règne dans les esprits ; on ne croit plus aux « blagues » des journaux. On ne croit plus aux victoires que les cloches sonnent à toute volée, et qui n’apportent jamais la paix : seuls, les écoliers s’en réjouissent, parce que chacune d’elles vaut un jour de vacances.

Au commencement, tout allait bien, et la générale von Voigt se rappelle avec attendrissement le mot du cocher de fiacre qui, se retournant sur son siège, et désignant de son fouet le palais impérial, lui déclarait : « Guillaume, nous l’avions mal jugé ! » Mais dès 1915, elle ne peut contenir ses appréhensions : comment cela va-t-il finir ? Et puis est venue l’année de Verdun, — Verdun, le cauchemar de l’Allemagne, dont l’épouvante plane sur les femmes allemandes « comme l’ombre d’un émouchet agite un poulailler. » Le soir de décembre où Mme von Voigt entend les camelots de Berlin hurler les « propositions de paix de l’Allemagne, » un frisson la saisit. Quoi ! l’Allemagne en est là ? Si nous doutions encore de l’état de dépression où se trouvait l’Empire après cette effroyable année, le livre des Filles d’Hécube, écrit en 1917, serait là pour le prouver. Pas une page où ne souffle le vent de la défaite.

Enfin, après quelques nouvelles victoires éphémères qui remontent le moral, arrive le mois de juillet de la dernière année. C’est pendant le séjour aux eaux, au cours d’un flirt dans la montagne avec le beau lieutenant de Bittlinger, qu’Annemarie rencontre une de ses connaissances, un gros industriel et fournisseur de guerre (qu’elle finira d’ailleurs par se décider à épouser : il a une si belle auto ! ). M. Thiessen arrive du front, où il a constaté l’effet d’un nouvel explosif.


— Croyez-vous, demande la jeune veuve, que ce soit très dangereux, cette contre-offensive de Foch ?

— Rassurez-vous, madame, repartit l’industriel. Cela ne va pas mal, pas mal du tout. Dites-vous que ce sont les chances de la guerre. Rien de plus capricieux ; c’est comme la veine aux cartes. Après tout, qu’y a-t-il d’étonnant avec une telle masse de troupes et de tanks ? Notre changement de front s’imposait.

— Changement de front ? Nous avons avancé ?

— Reculé, chère madame.

— Tonnerre ! s’écria l’officier.