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lumière de ton âme qui est toute d’instinct et dont la pureté n’a été ternie par aucun sophisme ! — Les gamins de Paris, à la fois peuple et enfants, c’est-à-dire doublement chers à la sociologie mystique du rousseauisme, lui apparaissent comme les enfants du miracle, et aussi comme des artistes décorateurs visiblement doués de génie, ce qui est un troisième titre à la sympathie du mysticisme moderne. Partout, dans cette révolution inespérée, elle se sent d’ailleurs frappée du spiritualisme vague, mais exulté de l’enfant-artiste : et cette prépondérance sociale du premier âge lui semble dans l’ordre, puisque c’est aux enfants et aux femmes qu’il convient de demander des directions politiques dans les heures de crise. Toujours désintéressés ( ! ), ces êtres naïfs sont en rapports plus directs que les hommes mûrs avec l’Esprit qui souffle d’en-haut sur les agitations de ce monde.

Elle écrit à Lamartine dans les premiers jours d’avril qu’il s’exagère le défaut de maturité du peuple souverain, qu’il doute bien à tort des rapides et divins progrès dont ses convulsions seront pour lui le signal. « Pourquoi doutez-vous, insiste-t-elle, vous qui pouvez juger des miracles que la Toute-puissance divine tient en réserve pour l’intelligence des faibles et des opprimés d’après les révélations sublimes qui sont tombées dans votre âme de poète et d’artiste ! » Assimilation du mysticisme démocratique au mysticisme esthétique, de l’inspiration du plébéien à celle du poète génial qui risquait d’indisposer Lamartine, peu enclin sans doute, en dépit de ses gestes oratoires, à partager de la sorte avec le vulgaire le privilège de la délégation d’en-haut et les satisfactions préparées à l’humaine volonté de puissance par le messianisme romantique : « Vous croyez, lui signifie cependant sa correspondante, que Dieu attendra des siècles pour réaliser le tableau magique qu’il vous a permis d’entrevoir ? Vous vous trompez d’heure, ô grand poète, en retardant l’avènement de l’idéal ! Pourquoi êtes-vous avec ceux que Dieu ne veut pas éclairer ?… Si la peur seule peut les ébranler et les vaincre, mettez-vous donc avec les prolétaires pour menacer, sauf à vous placer en travers le lendemain pour les empêcher d’exécuter leur menace ! » On sait ce que valent ces tardives, ces impuissantes « mises en travers » et où conduit ce jeu dangereux avec les plus brutales passions de la masse, que Sand va trouver opportun de jouer pendant tout ce décisif mois d’avril 1848.