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expire, non sans avoir salué l’aurore du communisme comme prochain. « N’ôtez pas, dit-il, au vieux planteur cette illusion, si c’en est une ! » On voit que le dernier mot du roman marque beaucoup moins d’assurance messianique que certains de ses chapitres ! Et ce discret scepticisme final à l’égard de la psychologie rousseauiste a son prix !


III

Les événements de février 1848 trouvèrent George Sand profondément ébranlée dans son équilibre moral et même dans sa santé physique par une des plus terribles crises intimes de son existence, qui en avait pourtant connu de bien graves (en 1821 et en 1835, par exemple). Ces événements publics la surprirent en effet au lendemain du mariage de sa fille Solange Dudevant avec le sculpteur Clésinger, union qui avait été précédée et suivie des plus pénibles incidents domestiques. Nous ne nous arrêterons pas sur ces faits, encore insuffisamment éclaircis. Ils intéressent d’ailleurs l’évolution de son mysticisme social en ceci seulement qu’ils lui conseillèrent de se jeter à corps perdu dans le mouvement politique pour distraire à tout prix sa pensée de ses préoccupations personnelles. Aussi bien se crut-elle à ce moment devant l’aurore de cette société de rêve qu’elle appelait depuis quinze années de ses vœux et dont elle avait préparé de son mieux l’avènement par ses écrits. Le succès « miraculeux » de la campagne des banquets réformistes éveilla d’abord sur ses lèvres un hymne d’allégresse, presque un nunc dimittis, quoique cette interprète en titre des intentions du Ciel n’eût aucun désir réel d’abandonner l’existence à l’heure même où elle allait devenir si douce à couler pour les hommes, à l’heure où s’incarnait le Dieu dont elle avait eu mission d’annoncer la venue, à l’heure où le peuple, enfin dûment inspiré, se préparait à proférer les paroles qui sauvent et à prodiguer les gestes qui guérissent.

« Bon et grand Peuple, prononce-t-elle dès le 7 mars dans la première de ses Lettres au peuple, aujourd’hui que la fatigue de ta noble victoire commence à se dissiper, agenouille-toi devant Dieu ! O peuple, que tu es fort, puisque tu es si bon !… Tu vas régner ! Tu vas, en échange de la science sociale que tes maîtres avaient vainement cherchée sans toi, leur donner la