Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 60.djvu/137

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Voilà des constatations fort sages, et lorsque Lémor, le premier inspirateur politique et moral de Marcelle, ainsi que nous l’avons dit, s’avisera de s’abandonner devant elle à des transports d’enthousiasme, en s’écriant : « O peuple, tu prophétises ! C’est pour toi que Dieu fera des miracles. C’est sur toi que souffle l’Esprit Saint. Tu sens ta force, ton amour ! Tu comptes sur l’inspiration d’En-Haut, et voilà pourquoi j’ai brûlé mes livres pour chercher la loi parmi les simples de cœur ! » le grand Louis reprendra sur le même ton que précédemment : « Romans, romans que tout cela ! Mme de Blanchemont ne sait pas ce que son fils pensera dans quinze ans d’ici sur l’argent et sur l’amour. N’allez pas faire la folie de le dépouiller de son bien ! » — Toutefois, Sand sera moins sage en définitive que cet interprète plébéien de ses velléités de sagesse. Par sa volonté, les événements viendront mettre à néant ces conseils du bon sens. Les grands-parents de l’enfant se ruinent à leur tour : il ne lui reste plus aucun héritage à prétendre et le problème de son avenir se trouve résolu de ce fait. Marcelle, voyant son fils sans ressources, proclame avec joie qu’enfin il est un homme à ses yeux (toujours suivant la suggestion de Jean-Jacques, aux premières pages de son Emile) : « Puisses-tu comprendre un jour, dit-elle solennellement au petit garçon, que te voilà jeté dans le troupeau de brebis qui est à la droite du Christ et séparé des boucs qui sont à sa gauche ! » Formule empruntée de la Bible pour affirmer une fois de plus l’alliance céleste au profit de l’impérialisme démocratique. Après quoi, elle obéit à une inspiration plus rationnelle, aussitôt compensée par un retour de conviction mystique : « Mon Dieu, donnez-moi, dit-elle, la force et la sagesse nécessaire pour faire de cet enfant un homme. Pour en faire un patricien, je n’avais qu’à me croiser les bras ! » Naïve philosophie du patriciat que n’aurait consignée ni Plutarque, admirateur des aristocraties Spartiates, mécédoniennes ou romaines et meilleur appréciateur des conditions morales de leur puissance, ni même peut-être Jean-Jacques, membre-né de ce patriciat civique qui gouvernait en son temps la république genevoise et dont il réclama longtemps le privilège après s’être rendu indigne de l’exercer par ses folies de jeunesse.

Aussi bien la tâche éducatrice de Mme de Blanchemont sera-t-elle facilitée par cette circonstance que le jeune Edmond est déjà, dans sa cinquième année, un être tout évangélique, un