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laideur massive, le monument de la Germania est apparu. Sur le pont du bateau, le reste des Rhénans regarde, mais ne dit mot : le geste du maître prussien n’a pas d’imitateur.


1er juillet.

Wiesbaden était avant la guerre la plus prussienne des villes rhénanes. Cette vieille cité du Nassau, conquise en 1866, se trouvait devenue la ville de luxe des Germains de l’Est. Encore aujourd’hui, il n’est pas de lieu où les fonctionnaires prussiens soient restés plus fortement imbus de l’esprit et des pratiques des Hohenzollern. Il n’est pas de lieu non plus où les immigrés de l’Est, riches rentiers, officiers ou fonctionnaires en retraite, soient venus en plus grand nombre s’établir auprès des Nassoviens. Depuis la Révolution, beaucoup sont encore accourus pour trouver confort en ces villas somptueuses et tranquillité sous la protection des soldats français : tel le général von Gallwitz qui demanda et obtint du Gouvernement français l’autorisation de s’établir à Wiesbaden, et tels bien d’autres hauts et puissants seigneurs de l’Armée et de la Finance.

Mais ce sont les Français qui donnent maintenant le ton à la riche cité. Aux troupes d’occupation se sont ajoutés des flots sans cesse renouvelés de voyageurs, d’hommes d’affaires, d’artistes. Les services de la Récupération attiraient des industriels, la Section économique des hommes d’affaires, les théâtres et les concerts des amateurs : dès l’été dernier, le général Mangin organisa une grande « saison » des œuvres de Wagner, et depuis on peut dire qu’elle n’a pas cessé. Et les Français ont apporté leur politesse et leur élégance : si bien que la cité nassovienne perd sa rude écorce prussienne, que peu à peu elle se parisianise.

En l’Hôtel de Nassau, palace parfaitement international, on n’entend, aux thés et aux dîners, parler que français. De jolies filles passent, vêtues de robes fraîches : ce sont, me dit-on, des mannequins parisiens qu’une maison envoie lancer ses créations. Des dames allemandes regardent et admirent. Aussi le grand couturier de Wiesbaden, Baccharach, qui fait la loi en Rhénanie, abandonne-t-il désormais les modèles viennois ou berlinois pour ceux de Paris.

Au grand théâtre, malgré le décor germanique, comme la salle a pris l’aspect parisien ! Certains soirs, en cet immense