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voisins sont Rhénans, un prêtre en convalescence, deux vieilles demoiselles luthériennes et dont l’une porte un titre nobiliaire, un jeune industriel de Hochst avec sa femme, une fraulein qui professe dans une pension de Wiesbaden. L’accueil est parfait, cordial chez les bonnes sœurs, poli chez tous. Nulle ombre d’hostilité : l’atmosphère des pensions de famille d’avant-guerre. Les religieuses, tout en se lamentant sur les difficultés du ravitaillement pour « les pauvres Allemands, » sont remplies de prévenances. Le curé nous raconte, en un français qu’il s’efforce à rendre correct, qu’en 1900, il a été à Paris et à Londres ; et ne cache pas qu’il souhaite d’y retourner.

C’est ce même curé qui m’apprit la décision du gouvernement français d’occuper Francfort : il ne s’en montrait pas ému : « Nous payons la folie de von Kapp, » reconnut-il. Toutefois, une des vieilles demoiselles ne put se tenir de dire à ma femme le soir même : « Vous êtes Française, madame, et je suis bonne Allemande. Il vaut mieux que nous ne nous parlions pas. »

Dès le lendemain, les physionomies changent. La religieuse qui nous sert nous avoue avec des airs épouvantés que les spartakistes tuent et brûlent tout sur la Ruhr, que Cologne est menacée, qu’il n’y aura plus l’hiver prochain charbon ni vivres en Allemagne. Le soir, e jeune industriel, rentrant de Hochst, annonce que la population de Francfort vient de se soulever contre les Français. Il dit cela d’ailleurs tranquillement, sans aucune passion. Je n’ai pas de peine, sur des informations précises, a le démentir, et il s’excuse de bonne grâce de s’être laissé tromper ; mais je vois bien que je n’ai convaincu personne On ne fait plus d’ailleurs devant nous allusion aux événements. Seule, la fraulein, en prenant congé, nous dit doucement : « Ce serait bien dommage si vous partiez d’ici. »

En fin de compte, à partir du jour où les journaux allemands, non sans des manchettes sensationnelles, publient la note anglaise, et annoncent que Lloyd George évite de traverser la France pour gagner San Remo, personne ne nous parle plus, à l’exception des religieuses et du curé. Ce dernier, à mon départ, m’avoue que c’est l’attitude de la Gazette populaire de Cologne, « un très respectable journal, » qui l’impressionne.

— Il est bien malheureux que la vraie paix ne règne pas encore parmi nous, soupire-t-il. Il n’est pas un de mes compatriotes