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plus de deux milliards, et acheté pour plus d’un milliard. Les Rhénans étaient ravis : leur pays retrouvait sa prospérité et devenait le grand comptoir d’échange entre France et Allemagne. Et voilà tout cela brisé, pour la seule joie des Prussiens.

D… va à Paris essayer d’obtenir des interventions puissantes et énergiques. Souhaitons qu’il réussisse, car, si les Français sont indignés, les Rhénans ne sont pas moins mécontents. Voici leurs industries privées de matières premières, leur commerce arrêté. Ils en gémissent tous, mais un siècle de joug prussien les a tellement bien plies à la discipline passive qu’ils n’osent protester ni agir.

— Berlin veut notre ruine, reconnaît ce gros négociant en vins dont je fus l’hôte en automne. Je ne puis plus rien vendre désormais : j’avais des commandes en quantité pour des bordeaux ; il me faut les annuler. Et tous mes collègues sont comme moi.

Mais quand je lui demande ce qu’il va faire pour se défendre, il lève les bras au ciel.

— Et que puis-je, mon pauvre monsieur ? Nous devons obéir, nous autres.

Tout de même, un tel régime ne saurait durer. Il lèse trop d’intérêts. La Haute Commission, si elle a dû l’accepter, cherche dès maintenant à l’amender. Peut-être, au fond, est-ce d’ailleurs la plus grosse maladresse que les Prussiens aient encore commise en ce pays depuis la ratification. En menaçant dans leur négoce aussi bien Rhénans que Français, ils créent entre eux une nouvelle solidarité de défense antiprussienne. Et, en gênant le ravitaillement de tout le Reich, ils vont y déterminer une crise de chômage et de faim qui en accentuera la ruine. Ces décrets, fruits de la haine et de l’ignorance, n’apporteront en toute l’Allemagne que colère et misère.


20 avril.

En cette pension toute allemande du Taunus où nous sommes installés pendant l’avril, et que tiennent des religieuses de Cologne, nous pouvons suivre les fluctuations de l’état d’esprit rhénan pendant la période critique des événements de la Ruhr et de l’occupation de Francfort.

Nous sommes seuls Français. Tout le personnel, tous nos