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brusquement un morceau d’une de nos cathédrales, d’un de nos châteaux. Ce masque pathétique du cloître de Saint-Etienne, n’est-ce pas celui du Salomon de Reims ? cette vierge gracieuse de l’Evêché, est-elle de Paris ou d’Amiens ? La Mise au Tombeau, dont le Dôme s’enorgueillit, n’est-ce pas une réplique de celle de Solesmes ? En voyant cette statuaire, -comment ne pas se souvenir qu’une critique récente donne à notre grand Claus Sluter des origines mayençaises ?

Certes, il est, surtout dans l’ornementation, bien des fautes de goût. Ce palais ducal, comme la décoration en est gauche et la sculpture soufflée ! Cette église Saint-Pierre, son rococo prête plus à rire qu’il n’invite à prier. Cette délicate église Saint-Etienne, d’abominables pointurlureurs l’ont honteusement souillée. Mais ces erreurs, ce sont encore des modèles français qu’elles accusent. Après tout, en ce vieux palais ducal, ce sont nos maîtres de la Renaissance qui furent maladroitement copiés ; en l’église Saint-Pierre, ce fut le style de Meissonier.

Il est d’ailleurs des détails pittoresques, des fantaisies plaisantes qui sont nettement du cru. Tels le fronton aux torsades ingénieuses de l’ancien gymnasium, — la fontaine du Marché, — et tous ces beaux balcons forgés si richement ouvragés. Ce sont morceaux un peu lourds, mais n’allant jamais jusqu’à l’extravagance qu’on rencontre dans les Allemagnes de la rive droite. On sent une race riche, aimant le décor, détestant la sécheresse et la raideur, cherchant l’élégance…

En vérité, ici tout n’est pas « boche. » Et dans ces rues irrégulières et riantes, un Français ne se sent pas dépaysé.


5 octobre.

Je loge, en attendant mes meubles, chez un de ces gros négociants en vin qui constituent le patriciat de Mayence. Israélite, et fort riche, il a un intérieur plus cossu qu’élégant, mais où tout est disposé pour le confort. Comme, par courtoisie, je demande à présenter mes hommages à la maîtresse de maison, je suis prié à prendre le thé. L’accueil est d’une amabilité presque excessive. Sans doute pour me faire honneur, tout le monde parle français, et la jeune fille de la maison me frappe même par la pureté de son accent.

Tout de suite, le père m’entreprend, et non sans vivacité, sur la guerre.