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par l’intervention d’Henri Martin, l’autorisation de pénétrer dans ces archives, alors fermées au public. Je m’assis à une table où venait s’asseoir chaque jour un travailleur d’une assiduité incomparable. C’était Albert Sorel. Nous fîmes connaissance, et, dans une concurrence d’application, silencieux pendant de longues heures, je me plongeai près de lui dans les études nécessaires à la connaissance du sujet que j’avais adopté, la vie du cardinal de Richelieu.

Je commençai à me débrouiller dans le vaste amas de documents et je m’étais arrêté sur certains épisodes ; j’essayais de rédiger, lorsque de bienveillantes interventions m’ouvrirent un accès vers le journal de Gambetta, la République Française. Colani y remplissait les fonctions de rédacteur en chef ; il connaissait ma famille et accueillit mes premières et timides esquisses. Je publiai quelques articles sous la forme de Variétés historiques ; et j’indiquai, à propos de Henri IV, un programme de politique nationale : « l’Édit de Nantes des Partis, » à propos de Richelieu, un programme de politique extérieure : « l’Equilibre européen. » Ces études juvéniles attirèrent l’attention de Gambetta. Elles n’étaient pas signées. On lui dit mon nom. Il voulut me voir et je me rendis sur convocation au Palais-Bourbon à l’issue d’une des séances de la Chambre dont il était le président.

Gambetta était alors à l’apogée de sa carrière. Après de longues luttes, il avait conquis l’autorité, le prestige, une action unique sur l’opinion. Tout lui réussissait. Il lui restait, du gouvernement de la Défense nationale, une auréole. Il avait fondé la République avec M. Thiers : il avait renversé Mac Mahon et déjoué la tentative du 16 mai ; il venait de porter Jules Grévy à la présidence. S’il l’eût voulu, il eût été élu lui-même : se refusant à cet honneur périlleux, il était resté au milieu du Parlement, près de cette tribune où résidait sa force. Président de la Chambre, il n’avait que quelques marches à descendre pour se retrouver sur son piédestal naturel. Au point d’intersection entre les deux pouvoirs, il tentait de gouverner du haut du fauteuil ; mais le régime est ainsi conçu et combiné qu’il ne laisse guère de place à une action personnelle prépondérante. Gambetta m’accueillit avec une simplicité et une bonté parfaites. Assis devant un bureau chargé de livres et de dossiers, bien installé dans un large fauteuil qu’il emplissait de sa