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c’était la grippe, et ce mot, même quand il désigne une chose effroyable, est moins terrifiant pour le public que le mot peste, s’appliquant à un danger qui ne peut être, comme on va voir, que très limité. Car nous sommes conduits, non pas tant par des idées que par des mots.

Le microbe de la peste, comme celui de la malaria et celui du typhus, est véhiculé d’homme à homme par un insecte qui est, cette fois, la puce. Plus exactement, c’est la puce du rat et, parlant, le rat lui-même qui sont les agents transmetteurs du fléau. Donc : pas de puces, pas de peste ; et en tout cas : pas de rats, pas de peste. Car la peste est avant tout une maladie du rat.

Endémique en Asie, et surtout en Chine et aux Indes, où elle tue bon an mal an des centaines de milliers d’individus, la peste a depuis le xviiie siècle à peu près disparu d’Europe. Pourtant, on en a constaté des cas sporadiques à diverses reprises et tout récemment même dans les ports de la Méditerranée orientale et aussi dans plusieurs ports anglais sans qu’on s’en émeuve outre mesure.

Pourquoi malgré tout cela, malgré les contacts fréquents et plus ou moins directs que nous avons avec l’Asie infestée, n’a-t-on plus constaté depuis le xviiie siècle de grande pesle épidémique en Europe ? C’est qu’à la fin du xviiie siècle, l’Europe a été envahie par les rats d’égout, les surmulots qui, venus en masse du Nord, ont franchi par millions la Volga et se sont répandus rapidement en Europe en exterminant et chassant devant eux la rat de maison (mus ratus), le « rat de ville » de notre fabuliste.

Depuis cette invasion des barbares d’un nouveau genre, — et qui a été un heureux événement, — il n’y a plus en Europe de rats noirs, de rats de maison, de ces rats qui, vivant en contact permanent avec l’homme et à tous les étages des maisons, étaient des agents sûrs de transmission et de dissémination continuels de la peste.

Le rat d’égout au contraire, fuit la société de l’homme et évite les contacts trop rapprochés avec lui et d’ailleurs il n’habite pas les étages des maisons. C’est pour cela que la peste est maintenant, quoi qu’il arrive, d’une dissémination hautement improbable.

Les quelques cas de peste bubonique constatés récemment et qui paraissent étroitement circonscrits, ne doivent pas plus nous émouvoir que ceux constatés fréquemment dans les poils méditerranéens ; ils ont été évidemment apportés par les rats de navires provenant d’Orient, rats identiques au rat de maison, et qui, en Asie, sont toujours les occupants du terrain, n’en ayant pas été chassés par les