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sur l’artiste et sur l’écrivain, les mêmes confidences que « l’herbe fade, la dune pâle, la grève incolore, la mer laiteuse, le ciel soyeux, nuageux, extraordinairement aérien » de la Hollande lui firent à lui-même jadis sur Ruysdaël et sur Van de Velde.


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D’abord, avant toute autre étape aux habitations de campagne de Dominique, avant d’entreprendre cette visite aux quartiers de la cité que le meilleur de ses chroniqueurs appelle « la bonne ville[1], » nous nous rendrons rue Dupaty, à la maison natale de Fromentin. De cette maison, entièrement démolie et remplacée par une autre, il ne subsiste, hélas ! que le souvenir, et si nous voulons nous la représenter, cette maison, telle qu’elle fui au temps où le docteur Fromentin, père d’Eugène, la possédait, il nous faudra aller, au Musée municipal, la contempler dans le dessin aquarelle que Jules Jourdan, un artiste rochelais, en a laissé. Nous verrons alors que, suivant la tradition du pays, le logis des Fromentin, haut de trois étages, tout en saillie sur la rue, dominé d’un toit à lucarne, s’accotait selon l’usage sur les piliers de solides arcades. « A la mode d’autrefois, à chacun des piliers s’adossait une borne servant de montoir aux cavaliers, sous un anneau scellé pour attacher les bêtes. On entrait, sous l’arcade, dans une petite cour humide et surannée, suivie d’un jardin où l’on montait par trois marches[2]. » Il s’en fallait de beaucoup que ce jardin étroit, d’un jour avare, enclos entre de hauts murs, fût comparable au jardin de prestige et de féerie, au domaine d’un charme enveloppant, discret, dont Fromentin a parlé dans Dominique, le jardin dont il a laissé, dans un concert d’oiseaux et un froissement de feuilles mortes, la description d’une si insinuante grâce et d’une si douce intimité. Ce jardin-là, qui tient du conte lyrique et du récit de terroir, d’une saveur agreste, aux teintes d’automne, sur lequel passe en inclinant la cime des arbres le vent de la mer, il est à peine indiqué ici, dans le clos de cette maison, que l’aquarelle du peintre local ne laisse pas deviner, et pour en surprendre le bruissement et les murmures, en pénétrer l’ombre tiède et comme vivante, c’est moins

  1. La bonne ville de La Rochelle, par Georges Musset (1912).
  2. Louis Gillet, Eugène Fromentin (Revue de Paris, 1er août 1905).