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un espace restreint, des cultures, des forêts et des étangs, une sucrerie, une distillerie d’alcool et quelques autres petites indus- f tries indispensables à la campagne ; le tout bien installé et exploité avec méthode.

C’est ainsi que je fus présenté au maître de Garbow qui, lorsqu’il n’est pas ministre (il le fut en 1918 dans le premier gouvernement polonais) partage son temps entre son domaine, qu’il administre aidé de ses deux fils, et Varsovie, où il dirige de grandes affaires. M. Broniewski revenait précisément de la capitale ; il me proposa de m’emmener le soir même à Garbow, où il rentrait pour quelques jours. Au trot allongé de deux grands chevaux russes, nous suivîmes la chaussée qui va, par Lublin, de Przemysl à Varsovie ; elle avait été, en 1915, le théâtre d’une grande bataille ; les traces des tranchées étaient encore visibles et l’on rencontrait, de temps en temps, un petit cimetière en plein champ. Le pays est assez vallonné, pour la Pologne, et agréablement coupé de bois de pins. Comme on approchait de Garbow, de grands étangs luirent au soleil couchant.

Chemin faisant, M. Broniewski me désignait les limites de son domaine. « Ces champs nous appartiennent, disait-il ; ceux-ci ne sont plus à nous, ils sont aux paysans. » Et pourtant ces terrains se touchaient, étaient enclavés les uns dans les autres. Je lui demandai une explication. « Le gouvernement russe, me répondit-il, en affranchissant les paysans, donna à chacun d’eux une parcelle de terre. En Pologne, cette distribution fut faite de manière à incommoder le plus possible les grands propriétaires et à ménager entre eux et les paysans des causes de différends et de mésentente. Toute la politique russe tendait à nous diviser et à entretenir chez nous la haine de classe. »

Toute la journée du lendemain fut consacrée à la visite du domaine. Il n’y a ici ni fermier, ni métayer ; le propriétaire exploite directement sa terre et loue à l’année des ouvriers agricoles. Jusqu’à ces derniers temps, outre les ouvriers loués à l’année, on employait les paysans (petits propriétaires) des environs, qui, insuffisamment occupés sur la parcelle qu’ils possédaient, venaient volontiers faire des journées. Ils n’y consentent plus aujourd’hui : la guerre les a enrichis, souvent ils ont arrondi leur petit domaine ; enfin ils s’entendent fort mal avec