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combien est profonde et désastreuse l’empreinte du luthéranisme prussien. Au long des quais charmants de la Mottlau, par les rues que bordent les vieilles maisons à pignons gothiques et les larges perrons à balustrades, circule une foule exactement semblable à celle de Berlin ; même physionomie, même allure, même goût, hélas ! dans les modes féminines… Un soir que la lune éclairait la Porte Verte et le marché aux poissons, je fus interrompu brusquement dans ma rêverie par une lointaine musique de bal public ou de chevaux de bois. Peu à peu les sons se rapprochèrent, et je vis s’avancer sur le calme de l’eau un bateau ridiculement illuminé et Henri. Un orchestre, où dominaient les cuivres, était installé sur la passerelle, et, sur le pont arrière, des couples dansaient. Des citadins en goguette revenaient ainsi de Zoppott, petite plage voisine, dont le casino, avec ses salles de jeu et son restaurant en plein vent constitue désormais, selon les journaux de Berlin, une des principales attractions de la Baltique. L’orchestre continua son vacarme, pendant que les passagers débarquaient en se bousculant ; on entendait résonner de gros rires et d’énormes claques dans le dos. Comment ce tableau grotesque rappela-t-il soudain à ma mémoire une autre image ? La nuit d’août était aussi tiède, la lune brillait du même éclat ; quelques gondoles, sortant pour les premières sérénades croisaient sur la lagune les larges barques qui chaque soir ramènent de Murano les ouvrières des usines ; des barques s’échappe, comme en sourdine, le gazouillement du parler vénitien ; quelques accords de mandoline partent des gondoles, et le calme de la nuit plane sur la ville et sur l’eau, majestueux et respecté. Ils appellent Dantzig la « Venise du Nord, » et, à ne penser qu’au décor, cela ne choque pas trop ; mais remettez-y les figurants, dites : « la Venise prussienne ; » et le paradoxe éclate. Dantzig, oh ! la belle ville, et le vilain monde !


UNE EXPLOITATION AGRICOLE DANS L’ANCIEN GOUVERNEMENT DE LUBLIN

J’avais exprimé le désir de visiter un grand domaine polonais.

— N’en choisissez pas un trop grand, me dirent mes amis de Lublin. Chez les Zamoïski, vous ne verriez rien en huit jours. Il y a, a vingt-cinq kilomètres de la ville, une fort belle terre de quelques milliers d’hectares ; vous y trouverez, groupés dans