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Il n’en fallait pas plus pour enchanter des hommes à l’imagination vive. On comprend que des Orientaux indolents finissent par s’enlizer ici dans le plaisir et la paresse. Mais des races énergiques ne trouvent au Pays du lotos, après de passagères voluptés, qu’un stimulant à l’action. Pour le Grec, la mer des Syrtes n’était que le seuil d’un continent merveilleux, plein de prestiges et de trésors, où, sur les pas d’Héraklès, le dieu conquérant et dompteur de monstres, on allait conquérir les toisons fabuleuses. C’était l’entrée des grands pays vagues et splendides du Couchant, — l’Hespérie, le Moghreb, comme disent les Arabes d’aujourd’hui, en mettant dans ce mot voilé tout le mystère et tous les éblouissements des régions inconnues.

Cette Hespérie des pommes d’or et des dragons aux yeux d’azur — les Hellènes, arrêtés dans leur route par Carthage et ne pouvant la coloniser par leurs armes et par leurs comptoirs, l’ont colonisée idéalement par leurs légendes. Sous les platanes d’Olympie, leurs odes triomphales contaient comment Hercule le Thébain, suivi de son fidèle Iolaüs, avait conquis toute l’Afrique. Il y fonda Capsa, Théveste, Icosium, Tanger, Lixus. C’est près de Carthage qu’il vainquit, en combat singulier, Antée le Géant. C’est sur les hautes montagnes africaines, du côté de Miliana et de l’Ouarsenis, qu’il s’assit un jour, pour relayer Atlas, fatigué de porter le ciel sur ses épaules. A El-Kantara, les traces de son talon victorieux sont encore visibles sur les roches d’or qui séparent du Tell les régions sahariennes. Et c’est pourquoi on appelait ce défilé Calceus Hercidis, le Talon d’Hercule. Plus loin, entre Tanger et Gibraltar, se dressaient ses fameuses Colonnes, la porte du Détroit, qu’il avait creusé de ses mains divines, pour réunir la mer Tyrrhénienne à la mer Atlantide.

Ainsi le héros hellène avait laissé l’empreinte de ses pas sur toute la face de la terre africaine. Les dieux mêmes de l’Hellade avaient daigné enseigner l’art des villes à cette contrée sauvage : Cyrène, la grande métropole lybique, avant d’être une cité illustre, fut d’abord une nymphe poursuivie par Apollon à travers les vallées d’Arcadie. Enlevée par le dieu, transportée dans une oasis de la mer des Syrtes, — dans le jardin de Venus, disaient les Grecs, — Cyrène, en souvenir de son immortel amant, lui bâtit un temple vermeil, à l’extrémité d’une rue toute droite, bordée de portiques et pavée de dalles polies, où sonnaient les sabots des coursiers gélules et numides…