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rocailleuse a dû être fertile, elle aussi, aux temps anciens. De loin en loin, minuscule comme un jouet d’enfant s’aperçoit un petit palmier, un petit figuier, un olivier expirant sur un sol maigre où s’est infiltré un peu d’eau. Mais les terrains conservent toujours leur belle couleur chaude. C’est une pâte de cuivre rose, où se discernent à peine, comme une mousse ou comme une écume, des iris des sables et des immortelles, squelettes de fleurs, qui se brisent et qui s’évanouissent en poussière au moindre contact.

On chemine assez longtemps à travers cette aridité. Et puis soudain, la poitrine se dilate : on sent la mer. Une ligne d’un bleu un peu dur tranche sur le ciel pâle. On tourne la tête vers le halo nacré qui annonce les rivages, — et voici que sur une colline, perdue dans la stérilité de la plaine, on distingue soudain des fûts de colonnes, un profil de temple, de vagues blancheurs architecturales, ces tons d’ivoire et d’or qui revêtent, à la façon d’une rouille précieuse, les ossements des villes mortes africaines. Une silhouette amie se dessine au milieu de ces grands espaces informes et hostiles à la vie. Il y a là de l’intelligence et de la beauté, quelque chose d’humain et de dominateur qui donne un sens au paysage.

On enjambe des ravins, on escalade des monticules tout bosselés de décombres, tout hérissés d’herbes sèches, en écrasant sous ses pieds des pommes de coloquintes qui ont l’air de suer des poisons, ou dont l’écorce vide s’écrase et se réduit en cendre comme le fruit de l’arbre de Sodome… Et brusquement, sans transition, on se trouve sur une place publique, aux grandes dalles de calcaire jaune, encombrée de colonnes gisantes et de bases de statues ; sur le pourtour, un portique à colonnades, ainsi que dans tous les forums africains ; à gauche, le sanctuaire de la Concorde Panthée flanqué d’une chapelle d’Apollon ; dans le fond, un autre temple consacré au génie d’Auguste, et, formant le centre architectural de l’esplanade, un autre grand temple dédié à Jupiter-Sérapis, et que précédait, comme à Sbéïtla, une tribune aux harangues. Rome est ici, avec ses dieux, sa politique, ses arts et ses lettres. Mes regards tombent sur un socle de statue, et je lis « Aurelio Vero Gigthenses publicè. — A Aurélius Vérus, les habitants de Gigthi, aux frais de la République. » Ce langage m’est familier. Je suis chez moi.

D’autres bases gisent à côté. Elles portent les noms de