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chasse au lion. Va-t-on laisser cette pièce capitale se détériorer et s’anéantir comme celles de l’Oued-Athménia ?

A Tunis même, au Musée du Bardo, je me suis scandalisé de voir certaines mosaïques, encastrées dans le pavement des salles, s’effacer peu à peu sous les semelles des passants, ou encore de voir vendre à des touristes certains tableautins en mosaïque, sous prétexte que c’étaient des répliques, des pièces communes, sans grand intérêt. Mais, de grâce, regardez de près ces morceaux que vous considérez comme des doubles : ils diffèrent par le dessin, comme par la couleur. Ce n’est peut-être qu’une différence de ton. Mais un ton de plus ou de moins, et voilà la valeur du morceau changée du tout au tout. Dans la mosaïque des anciens, la couleur en elle-même est la chose capitale. Elle peut aussi avoir une importance documentaire. Il est très curieux pour nous de savoir la couleur d’un habit de chasse ou d’une gandoura d’intérieur, au temps des Sévères ou des Antonins. Et je m’étonne, à ce propos, du beau dédain que lui témoignent les archéologues. Quand ils nous décrivent une mosaïque, ils nous parlent de tout, sauf de la couleur. S’ils prétendent nous en donner une idée d’après des planches coloriées, les couleurs sont fausses, ou trop pâles ou trop crues : ce qui détruit à peu près complètement l’effet décoratif cherché par l’artiste.

Quant au dessin des mosaïques anciennes, il est à la fois conventionnel, — ou plus exactement traditionnel, — et très ingénument réaliste. C’est ce qui en fait le charme singulier, et c’est pourquoi l’artiste ne se répète jamais. Avec la couleur, due à l’emploi de certaines pierres, et dont le secret semble perdu, il confère à la mosaïque un caractère à peu près inimitable. Si cependant, ces œuvres d’un art disparu, au lieu d’être pendues aux murs d’un musée, étaient rétablies aux lieux où on les trouva et suffisamment protégées, par des clôtures ou par des toitures, contre les intempéries et les dégradations ; en un mot, si elles étaient convenablement mises en valeur, peut-être qu’elles suggéreraient à nos décorateurs modernes toute une rénovation de la mosaïque, cet art somptueux et charmant, qui, aujourd’hui, est tombé au niveau de la photographie.


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Des basiliques chrétiennes de Sufetula, qui devaient se trouver en dehors de la ville, au forum qui, sans doute,