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corinthiens, mêmes avant-corps supportant des couples de colonnes. Mais, si, là-bas, l’ornementation est plus riche, plus délicate, ici l’édifice est plus élevé et plus majestueux. Les colonnes des avant-corps sont plus élancées. Au fronton du monument, peut-être surmonté, comme à Tébessa, d’édicules à colonnettes, j’essaie de déchiffrer l’inscription dédicatoire. Elle est très endommagée. Il faut apprendre ailleurs que cet arc de triomphe était consacré à Septime Sévère, le grand empereur africain, le fondateur de villes, le héros éponyme de tout ce vaste pays qui va de Leptis Magna à Césarée de Maurétanie. Maintenant, sur les pierres rugueuses du frontispice, on ne peut plus lire que ces deux mots gravés en hautes majuscules romaines : ADIABENICO. PARTHICO… Et la mémoire est obligée de rétablir tout le reste de l’inscription : « A Septime Sévère, Empereur, grand Pontife, Père de la Patrie, vainqueur des Parthes et de l’Adiabène… »

Pour comprendre le son vraiment triomphal que rendent ces quelques syllabes latines aux oreilles du voyageur, et de quel éclat spirituel brillent ces fantômes de lettres à peine visibles, il n’est que de s’imaginer la misère et la désolation qui environnent cette ruine fastueuse. Partout la terre nue, que bossèlent, çà et là, quelques tas de décombres et, dans le lointain, au ras du sol, quelques burnous pouilleux devant un gourbi pareil à une étable de porcs. Et, au milieu de cette poussière et de cette abjection, ce cri de victoire, venu du plus profond des siècles, qui traverse tout, qui domine tout : ADIABENICO. PARTHICO !… Et cet étalage des titres du civilisé, ce rappel d’une grandeur, d’une puissance, d’une force ordonnée et bienfaisante dont le prestige survit à tout : « A Septime Sévère, Empereur, grand Pontife, Père de la Patrie !… » Y a-t-il quelque chose de comparable à l’émotion lyrique qu’on éprouve ici, à ce cri qui réveille les instincts les plus nobles et les plus essentiels de toute une race et qui suscite devant ses yeux de si enivrantes images ?

Mon regard flotte sur la grande plaine vide. Je n’aperçois à ma droite que le mausolée, autre sentinelle perdue, avec les quatres colonnes de son attique, et, par derrière, des collines pierreuses et ternes, aux sommets boisés de pins d’Alep. Mais, vers le Sud, du côté du désert, les perspectives les plus lointaines sont toutes roses. Des voiles bleus et mauves s’étendent