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et de beauté se flétrit. Rien ne nous met sous les yeux de façon plus terrifiante la fragilité de nos civilisations. Ce que les hordes asiatiques ont fait de Thélepte et de Carthage, elles peuvent le recommencer ailleurs, demain, si nous n’y prenons garde. Ce qu’il advient quand on ne sait plus repousser le Barbare, Carthage et Thélepte nous l’apprennent. Ils sont venus, ils ont pillé, brûlé, saccagé, et ils s’en sont allés, ne laissant derrière eux que des pans de murs ou des maisons vides. La cité et toute la campagne d’alentour ont été séchées, stérilisées, comme une fontaine dont on coupe la source. Le vivant de la veille est devenu tout à coup un mort. Les gens qui habitaient là, occupés, comme nous, de sciences, d’arts, d’idées, de choses belles et passionnantes, sont entrés brusquement dans la nuit ; les choses dont ils étaient si fiers sont devenues un fatras inutile et quelque peu ridicule, dont on ne sait plus l’usage, ni le sens, — de l’archéologie, une pincée de cendres sur lesquelles peut-être quelqu’un viendra souffler dans des millénaires, ou qui sombreront dans l’oubli et qui seront dispersées, anéanties à tout jamais…


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Parmi ces villes mortes qui, pendant des siècles, furent les sentinelles de Rome en face du Barbare, celles, trop peu nombreuses, que nos archéologues ou nos officiers ont réussi à dégager ou à restaurer d’une manière satisfaisante, — ces quelques ruines ont un caractère tellement original qu’elles nous consolent presque de l’insuffisance des fouilles et des restaurations. Tel est le cas pour Ammædara, Sufetula, Gigthi. Ce ne sont pas précisément des villes sahariennes, mais elles confinent déjà aux régions désertiques, les deux premières sur la frontière occidentale de la Tunisie, la dernière dans les sables de l’extrême-Sud tunisien, non loin des Syrtes et de la Tripolitaine.

Malheureusement, elles sont assez difficiles à atteindre. Il en est de même d’ailleurs pour la plupart des ruines antiques de Tunisie et d’Algérie. Les touristes pressés, — et les Africains eux-mêmes, — ne se doutent pas de leur abondance extraordinaire, ni de leur intérêt, parce que les routes et les chemins de fer modernes ne passent plus par ces centres urbains aujourd’hui abandonnés. Le transit et le négoce se détournent de régions autrefois prospères et surpeuplées, et où l’on ne trouve