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n’a-t-il pas eu pour inspiration première l Maison du Berger, d’Alfred de Vigny ?

J’y roulerai pour toi la Maison du Berger.

Elle va doucement avec ses quatre roues,
Son toit n’est pas plus haut que ton front et tes yeux ;
La couleur du corail et celle de tes joues
Peignent le char nocturne et ses muets essieux.
Le seuil est parfumé, l’alcôve est large et sombre.
Et là, parmi les fleurs, nous trouverons dans l’ombre
Pour nos cheveux unis un lit silencieux.


La réminiscence est frappante. Le mari de Jeanne et sa maîtresse avaient eux aussi, « adopté le plus souvent, pour cacher leurs étreintes, la cabane ambulante d’un berger, abandonnée depuis l’automne au sommet de la côte de Vaucotte. Elle restait là toute seule, haute sur ses roues, à cinq cents mètres de la falaise… » Dans Une Vie, le mari trompé, averti par un prêtre fanatique, pousse et précipite dans l’espace, le long de la côte inclinée, la cabane où sont les deux amants, qui meurent d’une mort affreuse. Dans le Saut du Berger, c’est le curé lui-même, furieusement exalté par l’horreur du péché, qui donne le branle à la légère demeure. Sauf cette différence, la scène est la même dans le conte et dans le roman, mais le roman a emprunté au conte d’autres détails, et déjà toute la physionomie d’un prêtre qui jouera un rôle important dans Une Vie se dessine, avec les mêmes traits et les mêmes scènes caractéristiques, dans le Saut du Berger. Maupassant s’est copié dans des phrases entières.

Le « Vieux manuscrit » donnait à Jeanne, la douloureuse héroïne du roman, deux tantes : « tante Valérie et tante Auguste, l’une maigre et petite, l’autre grande et forte, toutes deux marquées d’aristocratie, portant dans tous leurs gestes, malgré leur complète simplicité, des signes indéniables de race. » Il y avait aussi deux cousines, Rose et Claire : « Elles tournaient vers ces paysans godiches leurs yeux malins et elles conservaient cependant une physionomie un peu sérieuse, comme enveloppées par cette atmosphère de mariage où flotte un mystère. » Ces personnages épisodiques, à peine indiqués d’ailleurs, ont disparu du texte définitif, mais il y apparaît, en revanche, un personnage nouveau, une sorte d’être manqué et falot, la tante Lison, qui