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Je vous serre la main et vous remercie. Rien de plus agréable à mon âge que de voir l’aurore d’un grand talent.

H. TAINE.


Tous les traits portent dans cette lettre. Il avait suffi des premiers contes de Maupassant, arrivé par ses coups d’essai à la maîtrise, pour inspirer à Taine, analyste et observateur, un jugement définitif sur la valeur et la personnalité littéraires du seul élève de Gustave Flaubert qui ait mérité d’être considéré comme son « vrai successeur. »

Une Vie fut-elle écrite ou reprise sous l’influence de ces conseils exprimés avec tant, de bienveillante sagesse ? Je ne saurais le dire ; on ignore la date à laquelle Maupassant commença son premier roman. Mais il est certain que celui-ci, talent mis à part et hors de pair, ne répondait qu’en partie aux désirs de Taine. Le milieu choisi était bien l’un de ces mondes « cultivés » vers lesquels le critique sollicitait le romancier de porter ses observations, mais l’action s’y développait, une fois de plus, au point de vue pessimiste. Maupassant n’avait ni adopté la théorie de Taine sur les « plantes de serre » que la civilisation produit au bout de quelques générations, ni peint des personnages dont la conduite « généreuse et réconfortante » put être donnée en exemple. Tout au contraire. Sur les cinq principaux acteurs du drame, qui se passait en province, dans une famille authentiquement noble, seule l’héroïne, que le destin accablait sous tous les malheurs, n’avait à se reprocher aucune faute de conduite. Le roman est l’un des plus tristes que Guy de Maupassant ait écrits. C’est l’histoire douloureuse d’une jeune fille imprudemment mariée à la sortie du couvent, que rien n’a renseignée ni armée, et dont la vie, qui la livre successivement à un époux et à un fils indignes, fauche impitoyablement tous les rêves. A part quelques jours radieux de son voyage de noces, elle n’a connu que des tristesses, des trahisons et des malheurs. En donnant « l’humble vérité » comme épigraphe à son livre, il semble que Maupassant ait voulu se défendre, par une affirmation de sincérité, contre le reproche d’avoir accumulé sur une seule tête tant d’invraisemblables et de pitoyables aventures. Je tiens le fond du roman pour exact. Du « Vieux manuscrit » au texte définitif, la trame n’a pas changé et la ligne directrice reste la même. Les changements,