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de science, de vertu. Quand la rigueur des lois avait entravé son ministère jusqu’à le rendre impossible, il s’était, non sans cruel déchirement, séparé de ses collaborateurs et de ses disciples. On a gardé les derniers conseils qu’il leur adressa : « Soyez, leur dit-il, hommes de prière, évitez l’oisiveté ; usez de la plus grande discrétion dans les maisons où l’on voudrait bien vous recevoir ; ne laissez échapper ni plainte ni murmure contre les auteurs de nos maux. Deux choses, avait-il ajouté, doivent nous remplir de consolation et de joie : la première, c’est que nous ne souffrirons que pour obéir à Dieu ; la seconde, c’est qu’aucun membre de la compagnie de Saint-Sulpice n’a trahi sa conscience. »

Demeuré presque seul dans les bâtiments du séminaire qu’allait occuper le comité de la section du Luxembourg, l’abbé Emery avait recherché dans quelle voie il pourrait le mieux servir. Quelques-uns de ses prêtres étaient jadis partis pour Baltimore, afin d’y fonder un séminaire. Son esprit pénétrant, habitué à voir juste et loin, lui découvrit quel pourrait être, en ce pays neuf, l’avenir du catholicisme : de là, la pensée d’un apostolat en ces régions lointaines. Ce fut, chez lui, un dessein ardemment caressé, et auquel il reviendra plus d’une fois, mais que sur l’heure il écarta. Il eût pu, en des jours prospères, abandonner son église et son pays. Le pouvait-il quand la France semblait le lieu d’élection pour souffrir et pour mourir ?

Donc il resta, et l’heure vint bientôt de souffrir. Le 19 mars 1793, il fut incarcéré, puis libéré dix jours plus tard. Le 13 juillet, il fut arrêté de nouveau. Cette fois, la captivité dura quinze mois. Chez lui nul étalage de stoïcisme, nulle affectation d’indifférence, mais une double force puisée dans une entière maîtrise de lui-même et dans un entier abandon à Dieu. Transféré à la Conciergerie, il put croire à plusieurs reprises qu’il touchait à son dernier jour. Avec une sévère discipline, il se fixa, une fois pour toutes, dans une sereine acceptation de la mort. Ayant ainsi dompté la crainte, il distribua ses journées comme il l’eut fait dans la plus paisible des demeures. Avec une parfaite liberté d’attention, il entreprit de longues lectures, particulièrement celle de saint Thomas d’Aquin. Dans le recueillement de sa captivité, il s’exerça à l’oraison, et pria comme jamais il n’avait prié. Il n’est point d’existence si austère qu’elle ne doive se mêler de délassements ; dans la méthodique répartition de son