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étant moins allumé, les jacobins sont moins en éveil : de là une chance, celle que la pieuse usurpation passe inaperçue.

Ailleurs l’évolution s’accomplit d’une façon plus insensible encore. Qu’on se figure une commune dont le curé a, en 1790, prêté le serment constitutionnel. Il a continué ses fonctions, sans que ses paroissiens, d’esprit peu averti, remarquassent un changement. La Terreur est venue. Il s’est terré : puis, à la première accalmie, il a reparu. Or, il se trouve que, sous la lumière des grands crimes, il s’est ravisé, a reconnu ses fautes, s’est secrètement rétracté. Ses paroissiens ignorent le désaveu, ou, s’ils le connaissent, se gardent de rien ébruiter. Aux yeux de l’autorité, il n’est point suspect, étant jugé prêtre civique et purgé de fanatisme. Donc, il continue le culte très décemment, sinon héroïquement, et désormais en parfaite orthodoxie comme en parfaite sécurité. Cependant on remarque qu’il devient fort discret sur les événements de la Révolution, qu’il ne parle plus du tout de l’évêque intrus, qu’il accomplit des pénitences inaccoutumées, qu’à la messe il prie très spécialement pour le Chef de l’Eglise. Et un jour, un jacobin le dénonce au Directoire départemental, parce que, dit-il, aux oraisons habituelles, une autre oraison s’est ajoutée « pour le citoyen italien qu’on désigne sous le nom de pape. »

Ça et là, un peu au hasard, par des initiatives obscures et isolées, toute la vie chrétienne se ranime. A Lyon, on voit se créer ou se restaurer toute une série d’associations : association dite des Jeunes Amis, qui groupe les jeunes catholiques : association dite des Filles charitables, pour l’instruction des enfants ; association dite des Visiteurs des malades. Dans l’Ardèche, des religieuses Ursulines se réunissent en un château appartenant à l’une d’elles, le château de l’Hermuzière, et y reprennent tous les exercices de leur règle conventuelle. Dans le Gard, un capucin, le Père Chrysostome, réussit à reconstituer dans la paroisse qu’il dessert quelques-unes des anciennes confréries. Dans la région montagneuse du Tarn, au canton de Massais, quelques ecclésiastiques se rassemblent pour faire, dit un rapport de police, « ce qu’ils appellent une retraite : » on s’informe, flairant un complot ; mais on s’assure « qu’ils n’ont pas parlé de révolution. » Je note ces menus faits, les jugeant suggestifs ; mais combien n’en recueillerait-on pas d’autres ! En même temps, de nombreuses rétractations de serment recomposent,