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voyage et leur caractère sacré. Aussitôt on s’empresse, on sollicite leurs secours spirituels, et à tel point qu’ils doivent, d’après le témoignage de l’un d’eux, demeurer cinq heures au confessionnal. Puis tout le monde les entoure d’attentions et leur offre des vivres. Cependant, quand ils demandent un gîte, on se trouble, on balbutie, on se dérobe. C’est qu’on se rappelle l’horrible loi sur le recel, les sentences plus horribles du tribunal du Puy ; et, à ce souvenir, un petit frissonnement de peur secoue ces vaillants montagnards inaccoutumés à trembler.

Les provinces de l’Ouest se sont naguère soulevées pour leur foi. Comment ne tiendraient-elles pas une place à part entre toutes les populations fidèles ? Par malheur, une grande pénurie règne : celle des prêtres. Ceux du Poitou ont été déportés en Espagne, ceux de Bretagne en Angleterre. Parmi ceux qui étaient restés, beaucoup ont été noyés, fusillés, massacrés, guillotinés. Plusieurs se sont mêlés à la chouannerie ; car là-bas le clergé a deux ennemis : les jacobins ardents à le calomnier, les royalistes ardents à le compromettre. Mais partout où le culte se rétablit, la foule se porte. Des signes non équivoques marquent l’ardeur de la dévotion publique. Vers la fin de l’été 1796, on voit, dit un rapport de police, des paysans qui se rendent nu-pieds au lieu où des calvaires ont été autrefois plantés ; ils en rassemblent les débris et longuement demeurent agenouillés sur l’emplacement profané. Tel est le spectacle dans le Bocage Vendéen, tandis que, de l’autre côté de la Loire, à l’époque du pèlerinage annuel, de longues files toutes recueillies s’acheminent vers Sainte-Anne-d’Auray. Comme au pays cévenol, plusieurs, en dépit des périls à peine conjurés, et peut-être à cause de ces périls, aspirent au sacerdoce : « Je vous préviens qu’il se fait en Vendée beaucoup d’élèves en prêtrise, » écrit l’agent national de Clisson au commissaire du département. Et celui-ci de répondre : « Ce qui se passe dans votre canton pour la fabrique de nouveaux prêtres se pratique en beaucoup d’autres. » Puis il ajoute : « La pieuse fainéantise trouvera toujours des prosélytes. » Cependant un zèle tenace pour le service de Dieu suggère, en l’absence du curé, tout un cérémonial laïque. A Herbignac, un tailleur d’habits récite dans l’église les offices ; on note une coutume pareille à Saint-Nazaire, à Escoublac. En Poitou, il arrive en certaines communes que le plus ancien de la paroisse préside aux