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Parmi eux il y a des violents et des modérés, des sectaires et des indifférents, des rigoureux et des indulgents ; mais des lèvres de presque tous, la même objection s’échappe : Comment remonter vers la Terreur en un pays qui n’a qu’une passion, la remontée vers l’humanité ?

Ainsi se manifeste, au chef-lieu même du département, une première résistance. Quand les objections ne se formulent point ouvertement, elles se traduisent par des doutes, des scrupules, des réticences ; de là des mauvaises volontés plus ou moins latentes, des transmissions tardives dans les cantons, dans les communes ; de là des commentaires d’une obscurité voulue, d’une tiédeur calculée, qui, tout en commandant apparemment l’obéissance, suggèrent, semblent suggérer l’inertie.

L’inertie, est-il besoin de la souffler ? Plus on descend, plus se révèle la répugnance à proscrire. Je consulte les documents conservés aux archives. En une trentaine de départements au moins, les prêtres rencontrent dans les magistrats municipaux des protecteurs et des complices. Les questionnaires arrivent : Y a-t-il des prêtres dans le canton, dans la commune ? Combien ? Ont-ils refusé le serment ? S’ils l’ont prêté, l’ont-ils rétracté ? En quels lieux se sont-ils retirés ? Quelles mesures ont été prises pour les saisir ? Les refus de répondre sont rares. J’en compte neuf dans le département du Tarn, quelques autres ailleurs. Mais ici se montre l’art où excellent les paysans français, celui d’user le zèle à force de patiente lenteur et d’imposer leurs volontés ou plutôt leurs volontés par une obstruction naïve et rouée, rustique et savante. Ils commencent par se taire ; aux premières lettres de rappel, ils feignent la surprise ; puis, habilement ménagers de leurs moyens dilatoires, ils invoquent la difficulté des communications, leur inhabileté à écrire, l’absence de formules qui puissent les guider. Que si derechef on insiste, ils se résignent à livrer quelque chose, mais pièce à pièce, un jour le nom, un autre jour les prénoms, un troisième jour la résidence qui, dans l’intervalle, a eu le temps de devenir inexacte. D’autres invoquent leur ignorance. Y a-t-il des prêtres dans le village ? Mais ils ne le savent point, ils ne le savent point du tout. Les plus hardis, les plus éclairés dédaignent ces subterfuges : dans notre commune, dans notre canton, disent-ils, nous répondons de l’ordre public ; il n’y a point de troubles, les impôts rentrent, il n’y a point de soldats