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médecin militaire, il a renoncé à une carrière déjà brillante pour se donner plus entièrement à l’archéologie. Il y est entré comme on entre en religion, avec piété, avec abnégation. Ses travaux sont connus depuis longtemps et appréciés des érudits. Il a commencé des fouilles à Sousse, à Dougga, il en a fait principalement à Carthage. Ses études sur la topographie des ports puniques et romains sont justement célèbres. Surtout, il s’est donné pour mission de ressusciter la Carthage antique.

Cela aussi est une religion pour lui. Mais ce zèle apostolique ne l’empêche pas de voir les difficultés de la tâche. Le docteur Carton n’a aucune illusion à ce sujet.

Et d’abord, il sait qu’il y faudra beaucoup d’argent. Or, pour l’instant, les ressources disponibles en faveur d’une telle entreprise sont notoirement insuffisantes. Sur l’initiative de M. Etienne Flandin, l’actuel Résident de France à Tunis, le gouvernement tunisien vient d’accorder une somme annuelle d’un million pour l’ensemble des antiquités[1]. La somme indivise suffirait bien juste pour Carthage toute seule. Peut-on demander à l’Etat une pareille contribution, surtout dans les circonstances difficiles que nous traversons ? D’autres ruines, qui nous touchent de plus près et dont le relèvement presse bien davantage, réclament son attention et sollicitent sa générosité. Les antiquités romaines de l’Afrique du Nord peuvent attendre : elles ont attendu quinze siècles déjà. Mais il importerait que, dès maintenant, un plan de fouilles méthodiques fût adopté, que ce plan fût mis à exécution le plus tôt possible, dès qu’on le pourra raisonnablement, — et enfin qu’il fût appliqué avec cet esprit de suite, cette obstination, cette largeur dans la dépense, dont les Anglo-Saxons et les Allemands nous ont donné tant d’exemples. Si l’on tente quelque chose, que cela soit digne de la France ! Pour alimenter le budget des fouilles, il ne faudrait pas compter seulement sur les subsides officiels. Si élevés qu’on les suppose, ils seraient toujours au-dessous des besoins. Rien de convenable ne sera fait, tant qu’on ne se décidera pas à recourir aux dons

  1. Je saisis avec joie cette occasion de dissiper un malentendu. Dans une précédente Lettre ouverte à M. le ministre de l’Instruction publique, publiée par le Journal des Débats, le 2 juin dernier, j’avais parlé de « l’indifférence des pouvoirs publics, » à l’égard des ruines antiques de l’Afrique du Nord. Il est clair que les hauts représentants de l’administration française en Algérie, comme en Tunisie, sont ici hors de cause. Je visais uniquement l’incurie des municipalités, — des autorités strictement locales.