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qu’on découvre du haut de la colline de Byrsa est réellement hors de pair. L’ensemble des ports antiques, du golfe et des montagnes, présente un caractère saisissant et extraordinaire. Le profil du Zaghouan ou du Bou-Korneïn, — la montagne des Eaux-Chaudes et la montagne de Saturne, — est inoubliable comme une physionomie humaine, le visage d’un exemplaire insigne d’humanité, ou comme un des grands chefs-d’œuvre de l’art. Le paysage est non seulement construit à la façon d’une vaste ordonnance architecturale, mais il semble retouché et travaillé par l’histoire, modelé d’après l’image et à la mesure des héros et des événements qu’il a vus passer.

À cause de toutes ces raisons, — parce que c’est un lieu de grands souvenirs, un pèlerinage historique et un paysage incomparable, il faudrait déjà tenter de ressusciter Carthage.


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Et d’abord, est-ce possible ? Tout n’a-t-il pas péri ? Sous prétexte de ramener à la lumière le cadavre de la grande métropole africaine, ne va-t-on pas dépenser des millions en pure perte ?

Il est certain que la Carthage punique a été durement saccagée par les Romains victorieux, après le siège de l’an 146. S’il est vrai que la charrue ait été passée sur le champ des ruines, il ne doit pas en rester grand’chose. D’ailleurs, la ville romaine, que l’on reconstruisit sur son emplacement quelque cent ans plus tard, recouvrit sans doute les fondations anciennes. À son tour, la ville romaine, détruite et incendiée par les Vandales et les Arabes, fut exploitée comme une véritable carrière par les habitants de Tunis. Ses marbres servirent à faire de la chaux. Ses colonnes et ses pierres, tous ses matériaux utilisables, furent employés à la construction des maisons neuves de Tunis, à la décoration des palais et des mosquées. Quelques-unes de ces colonnes, traînées jusqu’à la mer toute proche, furent embarquées sur des vaisseaux et emmenées, comme des captives, dans les grandes villes de l’Islam triomphant : à Cordoue, à Grenade, à Kairouan, au Caire. Il est donc vrai, malheureusement, que les ruines de Carthage ont été pillées, dispersées et détruites autant qu’il se pouvait. Mais il est probable aussi qu’il en subsiste beaucoup plus qu’on ne le croit communément.

On peut l’induire d’abord a priori de ce que nous voyons se