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je dégarnis l’un pour essayer de reprendre l’autre, je m’expose à perdre les deux.

Je prends aussitôt parti, et je donne les ordres nécessaires :

A mon état-major d’Oude-Cappelle d’avertir le général Bidon que les Allemands ont pris la ville, mais que je compte bien tenir l’Yser ;

Au commandant Delage, de tenir l’Yser à tout prix, et, par tous les moyens possibles, de recueillir les troupes qui se présenteront pour franchir le fleuve, en s’occupant spécialement des blessés ;

A la 6e D. A. que je reprends les troupes du bataillon de Kerros qui sont au front Nord de la rive gauche, pour les placer en soutien du front de l’Yser ;

Au commandant de l’artillerie lourde de prendre immédiatement ses éléments de tir sur la ville de Dixmude même, pour pouvoir la battre dès que j’en donnerai l’ordre ; au commandant de la réserve à Oude-Barreel, de recueillir indistinctement toutes les troupes qui viennent de Dixmude, en plus ou moins fâcheux état, et de les reformer dans les tranchées du carrefour et de Caeskerke-village.

A 17 heures, toutes les troupes valides ou libres ont dû franchir l’Yser, car il ne s’en présente plus sur la rive droite. Je donne l’ordre d’incendier la minoterie du pont, et de rabattre les passerelles flottantes sur la rive gauche. Puis, je prescris de faire sauter les deux ponts, et j’envoie l’ordre à l’artillerie lourde d’ouvrir le feu de toutes les pièces sur la ville.

Cette dernière décision était des plus pénibles pour moi, car je ne pouvais ignorer que la ville contenait certainement encore de nombreux blessés, et probablement des prisonniers alliés. Elle était nécessaire, cependant, et je ne pouvais hésiter à la prendre, car les Allemands installaient déjà des mitrailleuses qui n’allaient pas tarder à nous gêner sur l’Yser. D’autre part, le moral de mes troupes venait de recevoir une rude secousse, mais leur mission continuait, et je pouvais m’attendre à une tentative brusquée des Allemands pour franchir l’Yser. Je ne pouvais raffermir les esprits mieux qu’en faisant agir l’artillerie sur le point où l’ennemi était le plus dangereux, c’est-à-dire sur Dixmude même. La ville venait d’être un enfer pour nous. Il fallait qu’elle en devint un pour les Allemands, et tout de suite.

Je n’emploie d’ailleurs le terme « enfer » qu’après nos