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L’aspect de la salle est maintenant des plus pittoresques. Sur un banc, à l’écart, deux vieux rabbins en robe noire discutent avec volubilité ; leurs papillotes blanches s’échappent du haut bonnet et tombent le long des joues ; leur barbe descend jusque sur leurs genoux. Des paysans battent les dalles de leurs lourdes bottes aux semelles ferrées ; pour venir siéger à la Diète, ils n’ont modifié en rien leur mise habituelle : chemise sans col ni cravate, longue veste d’étoffe grossière, pantalon rentré dans les bottes ; presque tous ont les cheveux longs et plats et le visage entièrement rasé. Les ecclésiastiques portent pour la plupart la redingote notre et les longues bottes. Mgr Teodorowicz, archevêque arménien-catholique de Léopol (Lemberg), est reconnaissable à sa soutane liserée de rouge, à sa calotte violette et à la chaîne d’or qui retient sa croix pectorale. Je lui ai été recommandé par des amis romains ; il s’avance vers moi, les mains tendues, et me fait asseoir à son côté.

— Vous êtes venu nous voir, me dit-il, en des jours troubles. La situation est grave, mais personne ici ne désespère et, pour ma part, j’ai confiance. Surtout, qu’on ne parle pas en Occident d’un péril intérieur, d’un bolchévisme polonais. Il n’y a pas de bolchévisme en Pologne : nos ouvriers ont horreur de la révolution, nos paysans ne veulent pas entendre parler de communisme. Notre peuple est naturellement doux, et il a du bon sens.

« Le malaise que vous avez pu observer provient du brusque changement qu’a subi la Pologne : nous avons passé, sans transition, de l’esclavage absolu à l’absolue liberté. L’habitude de la liberté, les Polonais ne l’ont pas encore ; ils sont dépourvus de toute expérience, de toute éducation politique. Cependant les problèmes se posent, il faut les résoudre sans tarder. Les solutions seront ce qu’elles peuvent être : improvisées, incomplètes, parfois trop radicales. Nous ferons mieux plus tard.

« Je ne suis pas de ceux qui déplorent la prépondérance de l’élément paysan dans l’assemblée : ne sommes-nous pas surtout un peuple de paysans ? Ceux qui siègent ici apportent à l’accomplissement de leur nouvelle tâche le même sérieux, la même attention réfléchie, la même persévérance ordonnée qu’ils apportaient hier à leurs travaux des champs. Ce qu’ils n’ont pas compris, ils se le font expliquer. Ils écoutent volontiers les gens de métier et d’expérience et se méfient des beaux parleurs. En