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dont l’établissement était antérieur à 1908. Les villes comptent encore beaucoup de petits bourgeois prussiens, retenus par les besoins de leur profession, ou par la difficulté de trouver ailleurs un abri. Le journal allemand qui continue de paraître à Poznan est rempli d’annonces ainsi conçues : « J’échangerais quatre pièces et une cuisine à Posen contre logement analogue à Berlin… » Mais les occasions ne se présentent pas souvent. Nulle mesure d’exception n’est prise contre les Allemands : la surveillance en est laissée, pourrait-on dire, à tous les citoyens polonais. Elle est discrète, mais sévèrement exercée.

Il a fallu la guerre, et trois ans d’occupation, pour que les Polonais du Royaume apprissent à connaître l’Allemagne et à la détester. Le sentiment anti-germanique est assurément moins fort et moins profond à Varsovie qu’à Poznan ; pourtant il reste assez vivant chez les ouvriers, que les Allemands transportèrent en masse dans les provinces limitrophes de l’Empire, pour les employer aux travaux les plus durs, sans autre rémunération qu’une nourriture insuffisante et de mauvais traitements. Le directeur d’un grand journal varsovien, à qui je demandais ce qu’on devait penser de l’accusation de germanophilie dirigée contre tel ou tel homme politique polonais, me répondit en ces termes : « Le mot germanophile existe en effet chez nous : vous l’entendrez à la diète, vous le lirez dans nos journaux ; c’est une insulte qu’au besoin on lance, avec quelques autres, à la tête de son adversaire ; c’est un argument de polémique. Le mot existe, mais la chose n’existe pas. Nous savons tous que le grand principe de notre politique extérieure doit être la fidélité aux Alliés, surtout la fidélité à la France, sans laquelle nous ne pouvons rien. Et nous savons tous aussi que pour la Pologne, c’est à l’Ouest qu’est le danger. »


LA POLOGNE ET L’ENTENTE

Malheureusement, les Polonais sont loin de connaître leurs amis aussi bien qu’ils connaissent leurs anciens oppresseurs, et c’est un fait qu’il ne faut jamais perdre de vue, lorsqu’on observe la vie et l’action politiques du nouvel État. Je ne parle pas d’une minorité privilégiée qui, préférant l’exil à la servitude, a vécu pendant de longues années à Paris, à Londres ou à Rome. A ceux-là, les choses d’Occident sont souvent plus