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général allait s’installer, le maréchal Joffre continuerait à exercer son autorité supérieure sur tous les théâtres d’opération.

Mais ce système, qui avait été préconisé par le président du conseil, ne rencontra pas, dans les milieux gouvernementaux et parlementaires, un accueil favorable, et le maréchal Joffre, privé de son état-major, cessa d’exercer le commandement sous quelque forme que ce fût. Il ne se refusait pas à donner des avis que, d’ailleurs, on ne lui demanda pas.

Enfermé chez lui rue Michel-Ange ou à l’École Militaire dans les bureaux que le Gouvernement avait mis à sa disposition, il n’en sortit pas pendant des mois, échappant aux indiscrétions des journalistes, évitant toute manifestation ou toute parole qui eût pu prêter à de fausses interprétations. Une fois seulement il se rendit au Grand Quartier Général, à Beauvais, pour apporter à son successeur, le général Nivelle, le concours patent de son autorité.

La veille de son départ pour l’Amérique, questionné officieusement sur la valeur du plan offensif conçu par son successeur, il déclarait que seul le chef responsable avait à sa disposition l’ensemble des appréciations nécessaires pour en décider : le mieux était de lui faire confiance. En tout état de cause, des opérations aussi vastes ne devaient être entreprises qu’avec la ferme volonté de les mener jusqu’au bout. A la guerre, répétait-il souvent, il est très difficile de savoir si l’on est loin ou près du but. Les Allemands, à Verdun, ont été, à plusieurs reprises, sur le point d’obtenir des résultats peut-être décisifs, s’ils avaient su ou pu les exploiter. Nous-mêmes, à la Somme, nous n’avons probablement pas deviné à temps l’importance de la victoire que nous avions remportée.

Le maréchal Joffre n’eut d’ailleurs qu’à s’en tenir à ces recommandations générales. Pas une fois le Ministre de la Guerre ne le consulta.


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Pendant que les événements démontraient trop éloquemment l’erreur que l’on avait commise en renonçant aux projets du maréchal Joffre, il était en route pour l’Amérique, avec M. Viviani, vice-président du conseil des ministres, chef de la mission que le gouvernement de la République envoyait aux États-Unis.