Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 59.djvu/49

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Après avoir connu les plus éclatantes victoires que l’histoire ait enregistrées, alors qu’il jouissait de la confiance absolue des puissances alliées, alors qu’il exerçait effectivement le commandement unique sur tous les fronts, le général Joffre est écarté, et la France voit s’ouvrir la crise du commandement.

Aussitôt l’ennemi se reprend. Le 15 décembre, dès qu’on sait à Berlin que le général Joffre a quitté son quartier général, on retire les offres de paix, et on prend la résolution de tenter encore la chance des armes.


Le général Gallieni, au moment où Joffre quittait Madagascar, avait écrit, en le citant à l’ordre du corps d’occupation : « Il laisse une œuvre d’une importance capitale aux points de vue militaire et maritime, qu’il a organisée à ses débuts, dont il a assuré le développement dans tous ses détails, avec une constante énergie et une méthode invariable, et qu’il vient de conduire enfin à son achèvement définitif. »

Ces lignes peuvent s’appliquer à la carrière de Joffre pendant la grande guerre, sauf pourtant les derniers mots. Il n’a pas été donné au général Joffre de conduire à son achèvement définitif cette œuvre de la victoire qu’il avait préparée et commencée. A l’heure où il tendait la main pour la saisir, on l’éloigna. D’une âme tranquille il descendit du sommet où ses services l’avaient porté.


LE MARÉCHAL JOFFRE ET LA FIN DE LA GUERRE.
L’INTERVENTION AMÉRICAINE

Le général Joffre ne ressentit nulle amertume : il a l’âme philosophique. Mais il fut cruellement déchiré en voyant le succès des opérations compromis et la fin de la guerre encore une fois reculée.

S’il a désiré un moment conserver la direction suprême, c’est qu’il espérait sauver, du moins dans ses grandes lignes, le plan qu’il avait conçu, et dont il attendait de si heureux résultats.

Le général Nivelle, qui avait appliqué, à Verdun, les méthodes de combat mises au point sur la Somme, était, aux yeux du maréchal Joffre, un chef militaire capable de diriger les vastes opérations prévues d’Arras à Soissons.

Il était entendu, d’abord, que, de Neuilly, où son quartier