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l’obscurantisme protestant qui sévissait au-delà de l’Elbe. La collection du Simplicissimus contient des pointes redoutables dirigées contre le piétisme prussien. Toute une série d’humoristes a raillé dans ce journal l’Empereur luthérien qui se prenait pour un antipape, un régime qui choisissait ses hauts fonctionnaires en raison de leur orthodoxie confessionnelle, des pasteurs hypocrites et durs qui mettaient leur religion au service d’un étatisme réactionnaire.

Dans l’opinion bavaroise, les Prussiens en effet étaient considérés comme un peuple inférieur, plongé dans un état de servitude affreuse. Rien n’était comparable à leur esclavage, sinon celui des Russes : mais justement les deux gouvernements de Berlin et de Pétrograd étaient complices et solidaires[1]. Les maîtres de la Prusse étaient des hobereaux sans scrupules, ennemis de toutes les idées modernes, capables de toutes les félonies : « Pourquoi vous lamentez-vous, mes petits — en disant qu’ils vous enlèvent la liberté ? — Quand celle-ci a-t-elle fleuri en Prusse ? — Quand y a-t-on connu la loyauté et la foi ?[2] » Ces junkers, moralement vils au point de se faire entretenir par des filles de parvenus enrichis, brutaux et féroces, hostiles au peuple, se croyaient au-dessus des lois et de la justice. C’étaient des féodaux devant lesquels tremblaient les fonctionnaires et qui faisaient à leurs inférieurs des âmes serviles. Ils prolongeaient le moyen âge en plein dix-neuvième siècle : « Derrière l’uniforme et les décorations, écrivait Freytag que citait malicieusement le Simplicissimus en 1911, se cache bien souvent la même haine que jadis contre les idées de notre époque. Ce sont les mêmes préjugés, le même orgueil, le même respect grotesque pour des privilèges qui meurent, le même égoïsme grossier qui dédaigne le bien public. Beaucoup, parmi cette noblesse de cour et de campagne, considèrent toujours l’Etat comme leurs ancêtres, il y a deux cents ans, faisaient des magasins d’un voisin. Mais maintenant, plus fortement qu’il y a deux cents ans, s’élèvent contre eux la haine et le mépris du peuple. »

Dans ce pays sans liberté, remarquent les Bavarois, les opinions sont surveillées et soumises à l’inquisition la plus rigoureuse. Le fonctionnaire, pour se ménager un heureux

  1. Cf. la campagne du Simplissimus, années IX et X.
  2. P. Schlemihl, Simplicissimus, année X, n° 8.