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petit problème jusqu’à présent mal résolu. On ne s’expliquait pas pourquoi le bourgeois Josse Vyd, donateur du retable, avait fait choix d’un thème si exceptionnel dans l’iconographie chrétienne. On essayait de vains rapprochements avec des œuvres étranges et froidement scolastiques, comme la Fontaine de vie de Palencia et du Prado. Toute cette science était en pure perte. On voit à présent que le sujet de l’Agneau était parfaitement clair à Gand. C’était le sujet national, comme la légende de sainte Ursule pouvait l’être à Cologne, celle de saint Martin à Tours, celle de sainte Geneviève à Paris. Un Gaulois ne pouvait avoir une pensée plus naturelle. C’est ainsi qu’il devait exprimer l’idée de l’amour de son pays. On ne peut savoir trop de gré à M. Louis Maeterlinck de cette ingénieuse découverte. On verra bientôt qu’elle est féconde en conséquences.

Voilà pour le thème central. Pour le développement, il faut se reporter moins au texte de l’Apocalypse, qui est bref à son ordinaire, qu’à ce grand manuel de l’art jusqu’à la fin de la Renaissance, la Légende dorée de Jacques de Voragine. On y lit en effet que le jour de la Toussaint, l’année qui suivit l’institution de cette fête, le gardien de Saint-Pierre de Rome, après avoir fait pieusement le tour de tous les autels, s’assoupit un moment devant celui du Prince des apôtres et entra en extase. « Il vit le Roi des rois sur son trône, environné de l’armée des anges. Puis apparut la Vierge des vierges, couronnée d’un diadème de feu et suivie de la foule innombrable des vierges. Dès qu’elle entra, le Roi se leva et la fit asseoir à sa droite. Puis vint un homme vêtu de poils de chameau, que suivait une multitude vénérable de vieillards ; puis un autre homme en habit de pontife accompagné d’un groupe d’hommes habillés de même. Derrière eux s’avança une troupe innombrable de soldats, que suivait à son tour une foule infinie de toutes les nations. Tous, parvenus devant le Roi des rois, s’agenouillèrent devant lui et se mirent à l’adorer. » La suite du récit fait voir qu’il s’agit de la Toussaint et de la fête des morts, et l’on ne doute plus que ce morceau soit la source dont le peintre s’est inspiré, quand on sait que son tableau se complétait par une prédelle, détruite par un zèle maladroit, et qui représentait les âmes du Purgatoire.

Telle est la scène que l’opulent Josse Vyd, bourgeois de Gand et seigneur de Leedberghe et de Pamele, en Brabant, voulut