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d’hier, — semblent un peu dépaysées. Elles viennent d’Allemagne : cela se sent. Il y aura d’abord à retrouver l’ordre exact de la composition et la suite des scènes secondaires autour de la principale. Il y a surtout une question de patine et de cadres, — en particulier des bordures d’un éclat munichois.et des récurages féroces donnant à la peinture un brillant de porcelaine, tout cela battant neuf et décelant à première vue le goût impitoyable du restaurateur de là-bas et le style « nouveau riche. » Ainsi endimanchées, il n’est pas étonnant que les nouvelles venues aient l’air un peu gênées. Elles ne sont plus de la maison. La fusion tarde à se faire, comme il arrive entre des sœurs depuis longtemps séparées et qui ne trouvent rien à se dire.

L’accord sera plus vite rétabli entre les diverses parties du retable des van Eyck. Sans doute, aucune n’a conservé la profondeur et le velouté de l’Adam et de l’Ève du musée de Bruxelles : tout le reste pâlit auprès de ces morceaux sublimes. Mais, soit que les panneaux conservés à Berlin y aient été moins maltraités par les restaurateurs, soit que ceux de Saint-Bavon aient eu de leur côté à souffrir (par exemple, de l’incendie de 1832), soit enfin que cette admirable peinture se trouve d’étoile assez résistante pour endurer ce qu’une autre ne supporterait pas, il y a entre toutes ces parties une égalité de ton, une puissance d’unisson que rien n’a pu altérer. La note s’est tenue sans écart. Berlin n’a pris qu’une seule mesure, explicable dans un musée, mais qui peut rendre délicate la restauration du retable dans sa situation primitive. On sait que les volets d’un triptyque étaient peints sur les deux faces, de sorte que l’ouvrage, soit ouvert, soit fermé, présentât un aspect et un sens différents. L’extérieur des volets, généralement peint en grisaille, avait en quelque sorte la valeur d’une préface. Le contraste était saisissant lorsque le triptyque ouvert changeait de forme, doublait d’envergure et de surface, découvrait brusquement un ruissellement de couleurs et comme un magnifique écrin de visions. De cette disposition les vieux maîtres avaient tiré une source d’effets incomparables. Tout cela par malheur ne comptait plus dans un musée ; et puisque Berlin ne possédait de tout l’ensemble que les volets, il n’y avait pas de raison pour ne pas les traiter comme des tableaux indépendants. On décida donc, il y a trente ans, de scier chaque panneau et de le dédoubler, comme on ferait d’une médaille dont on voudrait