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à prêter à l’Etat les parties des chefs-d’œuvre qu’elles possédaient encore, afin que la réunion de l’ensemble ne fût pas seulement une fête locale pour telle paroisse ou pour telle ville particulière, mais parce qu’il convenait que tout le monde comprit que cette réparation était faite à la Belgique tout entière. A Bruxelles, la solennité prenait un sens national. Elle revêtait le caractère d’un événement public qui intéressait la patrie. Une reine charmante, en qui se personnifie la Belgique, un ministre, homme de goût et ami des beaux-arts, achevaient de donner à la cérémonie sa signification.

L’inauguration a eu lieu le dimanche 15 août ; c’était le sixième anniversaire des combats de Dinant, l’aurore de la victoire de Varsovie. Venu quelques jours plus tôt, j’avais trouvé le musée de Bruxelles en fête. On finissait de disposer les panneaux sur leurs châssis. Les peintres raccordaient les ors des cadres. On était en famille. Quelques intimes seulement : M. Léon Cardon, le collectionneur bruxellois, M. Devillez, l’ami de Carrière. Il y avait de l’activité et du bonheur dans l’air. Après quatre ans d’une guerre héroïque pour une indépendance si chère, ces chefs-d’œuvre, mérités par tant de sacrifices, paraissaient plus touchants. Dans la grande salle des Primitifs où M. Fierens-Gevaert, aidé de M. Pierre Bautier, leur avait fait place au milieu de leur cour et de leurs satellites, il flottait quelque chose de l’ivresse délicieuse qui avait suivi les journées inoubliables de l’armistice. Ces belles peintures, ramenées par la plus juste et la plus belle victoire, prenaient pour nos amis la même valeur d’émotion, de signe de ralliement, qu’a pour nous la flèche de Strasbourg.


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Dans peu de jours, au début d’octobre, les deux tableaux, — la Cène de Thierry Bouts et l’Agneau mystique des van Eyck, — reprendront, dans l’intimité de leurs suaves chapelles de Louvain et de Gand, le cours, interrompu cent ans, de leurs rêveries séculaires. Hâtons-nous de les admirer tels qu’ils sont exposés à Bruxelles : les reverra-t-on jamais dans une plus belle lumière ? La Cène de Thierry Bouts est décidément un des tableaux les plus parfaits du monde, un enchantement de tons gris et d’expressions ardentes dont il n’y a pas l’égal dans l’œuvre de Memling. Les scènes des volets, — les rapatriées