Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 59.djvu/312

Cette page a été validée par deux contributeurs.

savons de reste que les échecs ne la rebutent pas, et qu’elle persévère. Dans les vingt républiques diverses que l’on comprend sous le nom d’Amérique latine, le français résistait comme langue de culture : mais partout aussi la germanisation s’étendait. Certes, la France n’abandonnait pas la partie ; elle se rendait compte du danger : avec l’aide de ses amis lointains, par des congrès, par la création d’Instituts à l’étranger, elle se défendait ; le Verein für das Deutschtum im Ausland date de 1881 ; l’Alliance française, association nationale pour la propagation de la langue française aux colonies et à l’étranger, date de 1883. Elle luttait donc. Ses initiatives renaissantes, coïncidant avec le réveil du sentiment national, se sont manifestées avec force pendant les années qui ont précédé immédiatement la guerre. Mais elle avait grand’peine à maintenir ses positions, en face de rivaux plus puissants et surtout plus nombreux.

Maintenant, « nous avons mis la France à l’apogée dans l’estime des peuples, » suivant la forte expression de M. Clemenceau, au moment de la ratification du traité de paix. Voilà pourquoi les peuples, d’eux-mêmes, viennent à nous.


ii. — les pertes passagères et les gains assurés


Des points les plus opposés de l’horizon nous arrivent les bonnes nouvelles, toutes ensemble. Du Canada, où la question des langues, qui semblait devoir se régler de plus en plus au profit de l’anglais, est reprise. D’Espagne, où l’enseignement du français dans les Universités va être créé de toutes pièces. À Barcelone, nous écrit un ami de la France, M. Joan Estelrich, « le montant des livres français vendus en 1918 décuple le montant des livres vendus pendant les années d’avant-guerre ; » « on lit journellement des milliers d’exemplaires de la presse parisienne ; » « toute la population cultivée, tous les employés de commerce, parlent le français ; » « l’enseignement du français a une importance presque égale à celui de l’espagnol. » En Luxembourg, d’après le témoignage de M. le professeur Esch, « les journaux qui se publiaient en allemand jusqu’à il y a quelques mois… sont redevenus bilingues ; » « des milliers de journaux français se vendent tous les jours ; » « on ne voit presque plus de périodiques ni de livres allemands ; » certains même, regrettant d’être pris entre deux civilisations, voudraient « entrer assez avant