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du général en chef, passent dans le cœur et l’esprit de tous.

Ceux qui voient le général à ces heures décisives sont impressionnés par sa sérénité. Il n’hésite pas à se charger de Paris. C’est lui-même qui en réclame la charge. Le gouvernement est à Bordeaux, le général Joffre porte seul la responsabilité du salut de la France. Le général Gallieni, placé sous ses ordres, lui fait part de ses intentions. Entre ces deux grandes volontés un contact moral s’établit, chacun influençant l’autre. — Pourquoi tenter de les séparer quand leur union fait tant d’honneur à la France ? — Au général Gallieni, qui ne voit d’abord que son rôle de gouverneur de Paris, et qui porte toutes ses préoccupations sur la défense même de la capitale, le général Joffre fait adopter une conception plus large, à savoir que le sort de Paris se réglera en rase campagne et que les troupes de la garnison de Paris doivent participer à la bataille.

Comme on reprochait, plus tard, à von Kluck d’avoir négligé Paris, il a fait observer qu’il n’avait pu prévoir que, contrairement aux règles ordinaires de la stratégie, l’armée de Paris sortirait du camp retranché et se battrait au dehors- En fait, c’est le général Joffre qui a rompu avec les traditions de la stratégie ; c’est lui qui a détaché loin de la place les troupes de la garnison et qui les a fait participer à la bataille de la Marne. Il a dicté ses intentions à ce sujet dès le 2 septembre au matin.

Quand le général von Kluck s’infléchit vers l’Est, le général Gallieni, averti de ce mouvement, comprend, avec une perspicacité admirable, que l’occasion s’offre de ressaisir la victoire ; il la signale au général en chef, en lui faisant connaître son intention d’attaquer l’armée de von Kluck. Ce faisant, il remplit avec une haute intelligence son rôle de commandant d’armée.

Pour le général Gallieni, le devoir est d’être victorieux devant Paris ; pour le général Joffre, le devoir est d’être victorieux partout. Chacun ainsi est dans son rôle.

Le général Joffre, après avoir réfléchi et s’être renseigné pendant près d’une journée, se convainc que de Verdun à Paris, l’équilibre qu’il souhaitait est réalisé. Une seule chose peut-être demeure douteuse ; ce que va faire l’armée anglaise. Joffre passe la moitié de la journée auprès du général French ; il lui démontre la nécessité de participer à l’action, et quand, enfin, il a obtenu la quasi certitude qu’il en sera ainsi, il n’hésite plus ;