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homme qui accepte la responsabilité, la porte résolument sur ses fortes épaules, décidé qu’il est à ne s’engager que quand il aura acquis la conviction qu’il tient le succès. Dans ces jours dramatiques, la figure du général se détache calme et résolue, attentive et inspirée. En communication constante avec ses commandants d’armée, Joffre les tient en haleine, les encourage de la voix et du geste ; il est partout, approuve les initiatives, les suscite au besoin, saisit les occasions de rendre l’espoir et la confiance aux officiers, le mordant à la troupe.

Faut-il donner des preuves de cette action constante s’exerçant dans le sens de l’équilibre d’un bout à l’autre du front ?

Pendant la retraite qui prépara le retour offensif, le général Joffre applaudit à la victoire de la 4e armée sur la Meuse ; il provoque celle de la 5e armée à Guise ; il en discerne aussitôt les heureux résultats et sent que, dès lors, si von Kluck est obligé de renoncer à sa marche sur la Basse-Seine, c’est que l’équilibre se rétablit. Mais, ceci dit, jamais il ne se laisse entraîner par ses subordonnés hors du dessein qu’il a conçu. Après la Meuse, après Guise, il ordonne de rompre le combat, fidèle en cela à sa conception de la manœuvre générale et à sa volonté de tout sacrifier à l’ensemble.

Au général Maunoury qui propose, le 1er septembre, d’attaquer, si la situation l’exige, il répond que « l’équilibre et la soudure ne sont pas encore complets et qu’il faudra reculer jusqu’au Sud de Paris. » Il ramène dans l’Est de Paris le maréchal French qui orientait sa marche vers l’Ouest, menaçant ainsi de créer un trou dans le front des armées[1]. Tandis que l’ensemble recule, il apparaît mieux commandé, mieux organisé ; la confiance et la volonté qui animent le cœur et l’esprit

  1. L’intervention de lord Kitchener aurait été nécessaire pour maintenir le maréchal French sur le front de défense de Paris. Voir, à ce sujet les documents publiés par sir Georges Arthur dans son étude biographique sur lord Kitchener qui vient de paraître à Londres (3 vol.). — Comparer le récit du maréchal French, 1914 trad. franc. p. 79 et suiv. Il dit, se référant à la date du 28 août : « Pour ma part, je ne pouvais faire aucune promesse avant de savoir exactement sur quoi je pouvais compter. » Et, à la date du 30, il écrit encore à Kitchener : « Je sens très sérieusement l’absolue nécessité qu’il y a pour moi à garder ma complète liberté d’action et à pouvoir, si les circonstances l’exigent, me retirer sur mes bases ; » p. 86. — C’est seulement à la suite d’un long entretien avec Joffre que French adresse à celui-ci, le 3 septembre, la lettre qui permet enfin d’ordonner l’offensive : « Je suis maintenant complètement et clairement renseigné sur vos projets et sur la part que vous désirez que j’y prenne. Vous pouvez compter sur ma plus cordiale coopération en toutes choses… » p. 90.