Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 59.djvu/219

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’exécution du traité de Versailles, de plus en plus menacée par l’attitude de l’Allemagne, qui hante les esprits. Dans les campagnes dévastées où j’écris cette chronique, réfugié, comme tant d’autres, en un abri provisoire, j’ai rencontré chaque jour de pauvres gens qui, devant les ruines de leurs foyers, me demandaient avec quelque inquiétude: « Est-ce qu’ils vont revenir? » Interrogation douloureuse, qui prouve qu’à la façon dont le traité est appliqué, une partie du peuple français commence à perdre le sentiment de la victoire. Non, ils ne reviendront pas, parce qu’ils ne sont pas, pour le moment, en état de recommencer une agression et que nous tenons le Rhin. Mais il n’en est pas moins vrai que le vieil aigle impérial, que tant de Français avaient la naïveté de croire blessé à mort, relève insolemment la tête et que la faiblesse des Alliés encourage partout en Allemagne des espérances de revanche.

Les troubles sanglants qui viennent d’avoir lieu à Kattowitz sont venus illustrer d’une image sinistre les renseignements que j’avais donnés ici sur ce qui se passe, depuis plusieurs mois, en Haute-Silésie. L’Allemagne tente l’impossible pour y empêcher le plébiscite ou pour faire qu’il ne tourne pas en faveur des Polonais. Dans les remarques que M. de Brockdorff-Rantzau avait présentées, le 29 mai 1919, sur les premières conditions de paix, il avait textuellement écrit : « L’Allemagne ne saurait se passer de la Haute-Silésie. Par contre, la Pologne n’a pas besoin de la Haute-Silésie. » Cette phrase est restée le mot d’ordre allemand. Comme je l’avais indiqué, le gouvernement du Reich s’était proposé de remettre en discussion à la Conférence de Spa, le sort de la zone plébiscitaire. Notez qu’à la suite des observations de M. de Brockdorff-Rantzau, les Alliés avaient déjà fait à l’Allemagne, dans leur réponse du 16 juin 1919, une importante concession. Dans la rédaction primitive du traité, la Haute-Silésie était immédiatement détachée de l’Allemagne pour devenir Polonaise. Le 16 juin, après les objections de la délégation allemande, les Alliés déclarent candidement : « En raison de l’affirmation (produite par M. de Brockdorff-Rantzau) que la Haute-Silésie, quoique habitée par une majorité de Polonais dans la proportion de 2 à 1 (1 250 000 contre 650 000, d’après le recensement allemand de 1910), désire rester allemande, les Puissances consentent à ce que la question de savoir si la Haute-Silésie doit faire partie de l’Allemagne ou de la Pologne, soit déterminée par le vote des habitants eux-mêmes. » Et c’est alors qu’ont été définitivement rédigés les articles 87 et suivants du traité, ainsi que l’annexe