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êtes-vous venue l’y rejoindre, Maria ? » La jeune fille se redresse et elle a les joues empourprées : « Mais je n’y suis pas venue, madame. Pourquoi me traitez-vous ainsi ? — Pauvre petite, dit Mme Bennance, tout à l’heure vous vous accusiez. Vous voyez bien qu’il est le plus coupable. — Non, madame, c’est bien moi. J’étais si faible. Il pouvait faire de moi ce qu’ll voulait. » Ce court dialogue, et d’une telle simplicité, me paraît charmant et l’analyse la plus fine, en peu de mots, d’une âme de jeune fille ensemble et d’amoureuse. Maria dit encore : « Je lui ai mis les bras autour du cou. Il a vu que je pleurais. Il est resté. Il est resté jusqu’au matin. Vous voyez bien que c’est moi qui l’ai gardé ! » Mme Bermance pleure, et pleure sur la faute de son fils. Elle ne dissimule pas à elle-même ni à Maria cette faute. Elle dit qu’André n’aurait pas dû entrer dans la chambre de Maria : « Il ne savait pas, répond Maria, que je serais si faible. Je ne le savais pas non plus. Il croyait que je lui résisterais au besoin. Je ne pensais pas à lui résister. — Ce n’était pas lui résister, que de le rappeler au respect de son amour. — Il allait mourir. — Ah ! c’est parce qu’il allait mourir qu’il fallait montrer plus de courage ! » Ces répliques sont belles, et non d’une beauté verbale, mais bien d’une beauté morale, dépouillée de tout ornement, réduite au langage le plus naturel de femmes très simples et qui ont plus de vie intérieure que de vie apparente. La brièveté des formules rappelle, et aussi le ton, certains dialogues de Corneille, mais adoucis de vérité quotidienne. Que de tendresse il y a dans ces mots : « Il allait mourir ! » et de stoïcisme chrétien (si l’on peut rapprocher ces deux sortes de pensées différentes) dans le refus que Mme Bermance oppose au dernier plaisir, le dernier, mais défendu, de son enfant près de mourir !

Quand Maria quitte Mme Bermance après son aveu, Mme Bermance la laisse partir. Elle lui dit, du bout des lèvres et ne sachant plus ou ne sachant pas encore ce qu’elle doit faire : « Allez vous reposer. Je suis moi-même si lasse. Je m’attendais si peu à ce que j’ai appris. Je demanderai à Dieu de m’aider, de nous aider. Demain peut-être serons-nous mieux inspirées. » Les deux femmes se souhaitent le bonsoir, comme un autre soir, et comme si Mme Bermance n’était pas la grand’mère de l’enfant que Maria porte dans son sein. Maria, sur le seuil, eut l’air d’attendre un geste, un mot. Mme Bermance ne put l’embrasser ; elle essaya de lever les bras : elle ne le put. Il y avait, malgré l’amitié, malgré la pitié, entre ces deux femmes, la faute, qui était la faute d’André, une faute pourtant et qui offensait, en Mme Bermance, les pudeurs de femme, les scrupules de