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fois citée à la Kommandantur pour répondre de deux phrases assez insignifiantes d’une lettre ouverte par la censure. On ne peut dire vraiment que ce soit le martyre Elle eut à souffrir davantage de la rage anti-anglaise, et du furor teutonicus qui fit faire à l’Allemagne tant de sottises. Ce qui la blessait souverainement dans son tact de grande dame, c’étaient certaines « gaffes » de ses candides compatriotes, dont l’une apparaissait un soir outrageusement décolletée, en disant : « Oh ! ce n’est qu’une toilette pour la prise d’Anvers. Attendez celle que je réserve pour la défaite de l’Angleterre ! » Ah ! si les regards pouvaient tuer, la princesse Blücher aurait un meurtre sur la conscience. Elle eut d’ailleurs bientôt la satisfaction de voir la phobie américaine remplacer le Gott strafe England, et l’Allemagne de jour en jour concevoir plus de considération pour l’ « ennemi, » à mesure qu’elle encaissait les coups. L’Angleterre finissait par devenir presque populaire. Pour cet hommage, l’auteur pardonne tout à l’Allemagne, sans se rendre bien compte qu’il n’y a là autre chose qu’une preuve assez plate du culte allemand pour la force. Mais, à tout prendre, on ne peut s’empêcher de trouver que son patriotisme n’a pas eu trop à se plaindre. Ces Allemands se montrent, pour elle, assez bons diables. Quand la police se permet de l’espionner, elle ne manque pas de l’avertir de la liberté grande Pour ce qui est du prince, il se conduit en parfait galant homme, avec une correction chevaleresque de gentleman, prenant toujours le parti de sa femme, épousant ses idées et la protégeant de son nom, au point que l’on s’inquiète en haut lieu de la « maladie anglaise » et du « dangereux empire que les femmes de ce pays exercent sur leurs maris. » « Ce n’est pas très flatteur pour les femmes allemandes, » ajoute la princesse. Mais son livre nous montre que le ménage Blücher n’était pas seul atteint ; c’est presque toute l’Allemagne, à commencer par l’Empereur, qui subissait la contagion de la « maladie anglaise. »

Il y avait là, en effet, en pleine capitale allemande, toute une colonie de ces ménages cosmopolites, une brillante volière de ces « oiseaux de passage, » huppés des plus beaux noms de l’Empire, et dont le rendez-vous ordinaire était l’hôtel de l’Esplanade. Là vivaient, entre autres couples princiers, le ménage Munster, le ménage Pless, le ménage Roeder, dont les femmes étaient toutes d’origine britannique ; une foule d’Américaines,