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On n’a pas perdu le souvenir de la tranquille fermeté et du courage « civique » (il en fallait beaucoup à ce moment) avec lequel le général Joffre, à la suite des manœuvres du Midi, en 1913, prit la responsabilité de remplacer, dans le commandement des corps d’année et des divisions, certains généraux particulièrement bien en cour. L’opinion fut surprise, mais conquise par l’esprit de décision de ce général, dont la sincérité républicaine ne faisait aucun doute, et qui n’hésitait pas, dans l’intérêt supérieur de la France, à frapper des généraux en faveur.

Dans l’armée, où l’on aime les hommes qui ont le goût des responsabilités, cet acte de vigueur rendit le général Joffre très populaire. On comprit qu’il s’inspirait uniquement du bien supérieur du pays : et l’on ne fut pas étonné quand, après l’entrée en campagne, et après nos premiers revers, le gémirai en chef mit, avec une vigueur étonnante, la main à une refonte complète du commandement.


JOFFRE GÉNÉRAL EN CHEF

Ainsi, dans ces actes préliminaires, le général Joffre présentait, aux regards attentifs, un ensemble de qualités remarquables. On devinait en lui le bon citoyen et l’homme de haute volonté et de solide jugement. Ces aptitudes et ces dons, ce travail assidu révélaient, à n’en pas douter, pour ceux qui l’approchaient, certaines qualités essentielles du général en chef.

Ayant assumé d’avance les responsabilités d’une si lourde charge, il en avait envisagé tous les devoirs et il se préparait à les remplir avec cette conscience appliquée et, surtout, avec ce haut sentiment de dévouement au pays qu’il avait puisé dans le spectacle de nos revers de 1870. Ce qu’il voulait, c’était remettre la France à l’honneur. Il faut entendre cet homme qui parle peu parler de la France. Il le fait avec un tel accent qu’il est impossible de ne pas être ému de son émotion.

La faculté éminente de Joffre, c’est-à-dire le sens de l’équilibre, il va donc la mettre en œuvre dès qu’il sera appelé au commandement en chef des armées françaises sur le front occidental. Sa pensée dominante est de ne pas permettre que, par la faute d’une partie, la stabilité de la masse soit compromise. Résolu, dès le début, à employer toutes ses ressources simultanément, de façon à ne négliger aucune de ses chances, il se