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accepter un rôle. C’est à Buloz que revient l’initiative d’avoir fait jouer les charmantes pièces qu’il avait été si heureux de publier dans sa Revue. Buloz, directeur de la Revue des Deux Mondes, n’eut qu’à les passer à Buloz, Commissaire royal. Il y songeait depuis longtemps et pressait Alfred de Musset de se laisser faire violence. Mme Pailleron souligne justement ce passage d’une lettre à Mimouche, écrite huit jours après la nomination de Buloz : « Buloz est nommé : il est donc décidé que nous allons faire le saut périlleux. » L’argument est topique.

Comme il était à prévoir, la proposition fut accueillie froidement par MM. les comédiens ; il fallut que Buloz usât d’autorité. Le rôle de Mme de Léry avait été primitivement distribué à Mlle Brohan. Sur ces entrefaites, Mme Allan revint de Saint-Pétersbourg, où elle avait créé le rôle avec succès : cette circonstance lui valut son engagement. Rien de plus, clair et la cause est entendue. Je ne veux pas dire que ce soit la fin d’une légende. Le manchon d’une actrice… jolie façon d’entrer à la Comédie ! Mais les faits sont là.

Le seul auteur avec qui Buloz ait eu maille à partir, ce fut Alexandre Dumas. Les rapports avaient été d’abord excellents, — Dumas n’avait-il pas été l’un des premiers collaborateurs de la Revue ! — empreints de cette familiarité qui était la marque de ce bon compagnon. « Parlez un peu de moi, dans vos Revues, pour l’Académie, écrivait-il à Buloz. Je ne suis pas sur les rangs, mais je suis bien aise qu’on s’étonne que je n’y suis pas. » Les choses se gâtèrent à propos d’une affaire dont on trouvera tous les détails dans le livre de Mme Pailleron et qui se ramène à une question d’argent. Le « bon » Dumas avait, entre autres dons de sa riche nature, celui de l’invective. Il en gratifia abondamment son ami de la veille. Il était de ceux qui accusent à tour de bras. Il prétendit que Buloz avait « reçu mission d’arrêter l’essor de la littérature moderne, inquiétant pour le pouvoir. » Tout simplement ! En 1844, il ne consacrait pas moins de cinq articles de la Démocratie pacifique à développer cette révélation horrifique. On y relevait des bourdes de ce genre : « Un jour on se dira, comme l’une des choses les plus curieuses qu’ait enfantées le chaos dans lequel nous vivons, qu’il y a eu un petit-fils de Louis XIV et un successeur de Colbert qui ont mis à la tête de l’art dramatique en France un homme qui ne gavait pas que Cinna fût de Corneille, Il est vrai qu’on a été obligé de le