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demandé communication des instructions que j’avais données au général Gallieni, lorsque je l’envoyai à Madagascar aux heures si critiques de 1896[1].

De là cette conséquence étrange que les titulaires des ministères des Affaires étrangères et des Colonies, — les seuls départements dont j’ai à m’occuper ici, — ne sont pas souvent désignés pour leur adaptation propre au milieu où ils vont s’ébattre ; celle-ci encore que n’ayant qu’un contact intermittent avec la politique intérieure, ils sont plus affranchis que leurs autres collègues de la tutelle ou du contrôle du Conseil des ministres, plus libres partant de diriger leurs services à leur guise ; cette dernière enfin que, sans relations intimes entre eux, sans connaissance approfondie des origines des choses, ils travaillent à l’insu, tant du passé que de ce qui se fait à leurs côtés même.

Est-ce à dire que cette situation de fait favorise, sous le couvert des étiquettes variées d’hommes politiques qui ne font que passer, la continuité et la permanence de l’impulsion donnée par les bureaux à la direction des affaires publiques ? On aurait le plus grand tort de le croire. De nombreuses années se sont écoulées avant qu’il y eût, des bureaux dignes de ce nom au département des colonies, et, quand il en fut formé, on peut se demander s’ils eurent des traditions quelconques ; d’autre part, au Quai d’Orsay, la « carrière » était étrangère, sinon même hostile aux entreprises qui ont procuré la renaissance de l’action extérieure de la France, et, pour les affaires de son propre ressort, on peut douter qu’elle ait toujours vu clair à l’instant opportun, voire qu’elle ait eu des initiatives déterminantes aux grands tournants de notre histoire contemporaine. Si bien qu’en définitive, comme le lecteur ne tardera pas à s’en convaincre, l’unité de notre politique étrangère a été assurée par quelques chefs éphémères de ces deux ministères, les uns vraiment doués de génie, les autres n’ayant que du talent,

  1. Les notes personnelles que j’ai données à la Revue il y a vingt ans sur cette époque de notre histoire coloniale, ont été reprises et détaillées dans La politique de la France en Afrique de 1896 à 1898, Pion, éditeur, 1901 ; cela me dispense d’y revenir ici. Mais je tiens à dire que le choix de Gallieni pour restaurer l’ordre et la paix française dans la grande ile m’avait été inspiré en partie par la correspondance privée du généra ! Lyautey, dont un ami m’avait alors donné connaissance et qui vient d’être publiée chez A. Colin. Un chef provoquant des appréciations si enthousiastes et si raisonnées de son subordonné m’apparut aussitôt digne des plus hauts emplois.