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M. Schefer a noté très exactement que notre constitution écrite a placé la politique extérieure hors du contrôle permanent des Chambres, celles-ci n’ayant à intervenir en droit que pour les traités modifiant les frontières de l’État ou engageant ses finances et son système douanier. Mais peut-être attache-t-il aux textes plus d’importance qu’ils n’en méritent : ici comme en beaucoup d’autres circonstances, les mœurs ou la coutume sont plus forts que la loi ; celle-ci eût-elle été tout autre, qu’il en eût probablement été de même dans l’état où s’est trouvé l’esprit public entre les deux guerres.

C’est un fait que, dans une démocratie parlementaire, la politique extérieure ne fournit qu’en de très rares occasions la pâture exigée par les querelles des partis : que ce soit ignorance fondamentale chez les uns des questions posées, appréhension mystique chez les autres des conséquences éventuelles d’une maladresse oratoire, ou indifférence presque partout pour ce qui n’émeut pas quotidiennement l’opinion électorale, l’action de la diplomatie s’exerce communément en marge de l’agitation parlementaire.

Cette tendance naturelle a été singulièrement accentuée chez nous par les conditions très particulières où se forment et fonctionnent nos cabinets ministériels. Il n’arrive presque jamais, — j’en parle par expérience, — qu’un ministère apparaisse au Journal Officiel avec la composition, la distribution et la figure qu’avait espéré lui donner son chef : tel collaborateur s’est récusé par convenances personnelles ou par habileté ; tel autre a préféré prendre un portefeuille différent de celui qu’on lui avait primitivement offert ; ce troisième et ce quatrième enfin ne sont entrés dans la combinaison que parce que, pressé d’en finir et soucieux de ne pas passer la main à un rival, le président du conseil a, à la toute dernière minute, consulté la liste des parlementaires pour y découvrir les noms de quelques bouche-trous aussi peu compromettants que possible. Puis, lorsque tous ces personnages que le calcul ou le hasard a réunis siègent autour de la table du conseil, l’expédition des affaires courantes, c’est-à-dire de celles qui ont leur répercussion immédiate au Parlement, absorbe si complètement leur temps et leurs pensées, qu’ils ne s’occupent pas ou guère des relations extérieures de l’État et des opérations à échéance ou réalisation lointaine : c’est ainsi par exemple que personne ne m’a jamais