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souffles humains. Tout de même, on se sent bien, au sein de cette épaisse humanité. On plonge dans quelque chose d’élémentaire et d’ancien. Des épaules m’oppressent, des yeux luisent près de moi ; des joues de chair fraîche, des fronts jaunes, incroyablement plissés, me frôlent : je respire les haleines, je m’emplis d’essence bigouden. Tous ces dos si courts, sanglés de noir, ces dos de marsouins sur le bourrelet des robes, toutes ces têtes bridées, obliques, où la chevelure, sous la dentelle et l’écarlate, se réduit à une demi-boule de chêne ou d’acajou ciré, — quel épaississement, quelle schématique simplification de la forme féminine ! Parfois, près de moi, l’une d’elles se retourne (quelque mère cherchant un précieux et scintillant bébé qui lui glousse entre les jambes), et, large, dorée, sur les fonds noirs, dans la masse et la raideur du costume, sous l’apparat des grands rubans, elle se révèle monumentale.

Quelques rangs se présentent de profil. Des profils d’idoles, de statues primitives, inanimées sous le luxe de broderies qui semblent, sur ces puissantes poitrines, des colliers d’or, de byzantines chaînes étagées. Le type est partout ; il m’enveloppe, m’obsède. Fronts fuyants, mentons fuyants, forte avancée des pommettes, des maxillaires, saillie un peu canine des dents, toute cette oblicité du profil accentuée par celle de la coiffe, de la bride, des crins tirés en arrière. Mais, de face, une construction presque plate, et quadrangulaire, en losange, par grands plans ; des traits comme équarris à la hache. Il y avait plusieurs vieilles devant moi : la peau de leur nuque, découverte jusqu’à la racine des cheveux, était un tégument épais et brun, une sorte de cuir vivant et partout crevassé. Pas un fil blanc dans ces cheveux d’une égalité, d’un lustre étonnants. Mais nulle vieillesse plus ridée. C’est peut-être que la jeunesse fut si plantureuse ! Quand elles maigrissent (ce qui est la façon de vieillir, dans les races fortes), la peau se vide, qui couvrit toute cette magnifique chair. Plis et replis de parchemin cassé, triple et profond sillon parallèle, en V, au-dessus des sourcils, ajoutant à l’air de tristesse, de muette patience, de labeur solitaire que présentent ces aïeules.

Une race, un peuple : on le sentait plus fortement encore en ce vaisseau fermé où sa coutume l’assemble, et qu’il emplissait de ses nombres, de ses couleurs, de son effluve. Rien ici qui ne soit bigouden : même les vieux saints et saintes de