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lierre jusqu’en haut ; on ne voit que l’extrême pointe du petit clocher, dont la cloche est partie depuis bien longtemps. A son pied, un doué rappelle la présence prochaine de l’homme, car le bleu des lessives récentes y traine encore. Doué, en breton, cela veut dire, fontaine, et cela veut dire Dieu. Il y a toujours une fontaine, avec sa vieille cuve de granit, bien souvent un lavoir, à côté des chapelles bretonnes. Le christianisme celtique ne fut pas rigoureux aux légendes et pratiques des cultes primitifs. Il s’est contenté de bénir les vieux démons. Près des lieux qu’ils ont hantés, au bord des sources, aux sommets des collines, parfois sur la roche d’un menhir, il a simplement posé les signes de la religion : tantôt un petit sanctuaire connu des seuls paysans, tantôt un bas-relief religieux, une douloureuse descente de croix qui se lève sur une margelle, tantôt une image de Saint-Sacrement gravée dans la vieille pierre magique. Le plus souvent, c’est une croix basse de granit portant le Crucifié, — une figure si rongée par les pluies et les vents, si naïve et grossière, qu’on la prendrait plutôt, avec son front bas, ses yeux en triangle, ses jambes trop courtes, pour quelque gnome de mythologie barbare.

La vieille chapelle est ouverte à tous les vents. Des ronces, de petits pommiers sauvages sont entrés par l’ogive béante du porche. Tout l’intérieur est un vert fourré où l’ajonc épanouit ses (leurs, où les oiseaux cachent, au printemps, leurs nids. Seule, la table de l’autel est intacte : une dalle de pierre scellée au mur, massive et nue comme celles que l’on trouve encore dans l’obscurité des antiques spéos égyptiens. Elle aussi, qui fut taillée aux temps où la foi rude n’usait pour ses monuments que de matériaux éternels et simples, semble devoir durer toujours.

La dernière fois que je suis venu ici, il y avait autour du lavoir, des femmes et des fillettes, en grandes fraises tombantes de tous les jours, qui dévisageaient l’étranger avec une curiosité un peu farouche : un petit monde venu de quelque ferme voisine que l’on ne voit pas de la chapelle, les fermes bretonnes aimant à se cacher dans les creux. Aujourd’hui, personne. Nul bruit que celui de la fontaine qui connut les cultes païens, — du mince filet d’eau plus ancien que toute l’histoire humaine, et qui a traversé les siècles, les millénaires, dans la solitude des jours et des nuits, sans jamais cesser son murmure. J’écoutais