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vêtues de mousses et de fougères. Nulle autre vie ne bougeait.

Dans ce lieu étrange, où n’entrent pas les souffles du dehors, je retrouvais, mais plus intense et précis, le singulier sentiment qui vous hante partout, le long de la rivière. Le cours du temps ne semble point s’y poursuivre. Du passé s’enfermait en cette retraite avec la moiteur stagnante, avec le jour terne, égal, qu’entretiennent les grands végétaux fantastiques. Les choses étaient restées ce que rêva cet officier de la marine du Roi, qui, ayant vu les lies, en rapporta dans sa Bretagne la nostalgie. C’était son rêve qui se continuait là, dans l’ombre, épanouissant de plus en plus ses images. Les vieux paysans doivent parler de son anaou qui revient, erre, à la brume, autour du bassin d’eau morte et des grands bambous.

Par des tunnels percés sous des montagnes de rhododendrons en fleurs (une voiture y passerait, et le ciel, là-dessous, semble rouge), nous avons gagné l’espace libre, le monde réel. Nous sommes montés vers le château dont le garde nous fit faire le tour, à distance respectueuse. Il nous parlait à voix basse de « la Famille, » de « Monseigneur, » un saint prélat, mort il n’y a pas un demi-siècle, et dont j’avais déjà lu le nom en des sônes achetées aux vieux chanteurs des Pardons. Il entre déjà dans la légende. Que Rome l’auréole ou non, c’est presque déjà, comme saint Méen et saint Ronan, l’un des saints particuliers de la Cornouaille.

Sous le meneau d’une vieille fenêtre, dans la noirceur intérieure, j’entrevoyais la silhouette rigide d’une religieuse : guimpe blanche, bure blanche, qui ne sont pas de notre temps. Une carmélite, recueillie, nous dit notre guide, pour faire l’éducation des enfants, dans ce domaine où l’on pourrait vivre, avec des livres d’autrefois, parmi des serviteurs et fermiers qui semblent d’autrefois, sans rien connaître d’aujourd’hui.


Plutôt qu’à la grève de ce parc romantique, j’aime à finir cette promenade près d’une chapelle en ruine, sur l’autre rive, où la campagne est naturelle et simplement bretonne : des landes, des prés que l’on gagne en suivant, depuis les rochers du bord, un sentier qui monte raide dans les taillis.

C’est la chapelle de Sainte-Barbe, démantelée, fourrée de